Compagnie générale de la télégraphie sans fil

Compagnie générale de la télégraphie sans fil

La Compagnie Générale de Télégraphie Sans Fil (CSF) est une société française créée en 1918, à l'époque pionnière de l'électronique et qui fusionne en 1968 avec la Compagnie Française Thomson-Houston (CFTH), filiale de Thomson-Brandt pour donner Thomson-CSF, qui prendra en 2000 le nom de Thales.

Sommaire

La radio en France au début du XXe siècle

Après les découvertes fondamentales de Maxwell en 1865, de la mise en évidence des ondes électromagnétiques par Hertz vingt ans plus tard, et l'invention par Branly du cohéreur, c'est-à-dire d'un détecteur d'ondes radio, c'est à l'italien Marconi que l'on doit les premières transmissions radios. La société qu'il crée au Royaume-Uni permettra notamment d'équiper les transatlantiques comme le Titanic d'émetteurs récepteurs. En Allemagne, la société Telefunken est créée pour développer du matériel relatif à la transmission sans fil, alors qu'en France, Eugène Ducretet qui avait établi la première liaison radio entre la tour Eiffel et le Panthéon doit abandonner ses projets industriels en 1908[1]. C'est au sein de l'armée que le capitaine Ferrié entreprend de développer des techniques radio. En 1908, un collaborateur de Ferrié, Paul Brenot, polytechnicien de 26 ans, retrouve à La Rochelle l'un de ses camarades de promotion, Émile Girardeau et lui communique sa passion pour la TSF. Girardeau réalise qu'il n'y a pas en France d'entreprises comme Marconi et Telefunken[2]. Il s'associe avec Joseph Béthenod, du même âge, mais issu de l'école centrale de Lyon, pour fonder en 1910 la Société française radio-électrique (SFR) qui va fournir à l'armée les matériels dont elle a besoin pour les transmissions sans fil[3],[1].

De la SFR à la CSF (1910-1930)

C'est en Afrique-Équatoriale française, sur la liaison Brazzaville-Loango, que la jeune société fait ses preuves. Grâce à l'allongement de la longueur d'onde, d'excellents résultats sont obtenus après des débuts difficiles, et ce succès amène de nouveaux contrats, aussi bien en Afrique qu'en métropole avec l'établissement à la Tour Eiffel d'un émetteur disposant d'une puisance antenne de 25kW[4]. La Première Guerre mondiale donne l'occasion à la société de se développer rapidement. Elle livre 65 stations fixes de plus de 5 kW, 18000 postes d'avions, 300 postes de navires et 300 postes mobiles, sur véhicule[4]. La création de la Compagnie Générale de Télégraphie sans fil (CSF) en 1918 résulte du succès de la SFR et de l'initiative d'investisseurs au centre desquels on trouve la Banque de Paris et des Pays-Bas (BPPB) qui avait des participations dans la SFR, mais aussi dans la Compagnie Française des Câbles Télégraphiques (CFCT) investie dans les lignes télégraphiques transatlantiques[5]. Un des intérêts de BPPB dans la création de la CSF est qu'elle permettait à la banque de faire valoir ses droits sur des avoirs allemands séquestrés par les alliés[6].Paul Brenot qui avait été au sein de l'administration militaire, aux côtés de Ferrié, l'un des interlocuteurs de la SFR, quitte l'armée en 1919 pour assurer la direction technique de la CSF. À partir de 1920, le nouveau groupe dont Girardeau conserve la direction est sous le contrôle de la BPPB. Le groupe adopte une structure de holding où les différentes sociétés du groupe s'engagent dans une stratégie de diversification[5]: La SFR développe et produit des alternateurs haute fréquence, des antennes, des centres d'émission et des centres de réception, la Radio-technique dont la CSF prend la contrôle en 1920 et qui est spécialisée dans la fabrication des tubes électroniques, notamment les triodes destinées essentiellement au marché des appareils de TSF grand public, et enfin la Compagnie Radio-France créée en 1921 pour assurer l'exploitation de réseaux internationaux[1],[5].

La CSF est amenée à se spécialiser dans la radiotélégraphie, abandonnant à Siemens la CGTT, investie entre-temps dans la construction de postes téléphoniques. Dans le secteur des télécommunications, aux côtés de la Compagnie Radio-France à qui les PTT sous-traitent l'exploitation de son réseau international, on trouve d'autres « Compagnies associées de TSF »: la Société Radio-Orient qui développe un réseau similaire au proche-orient et la Radio-Maritime qui équipe les navires marchands[5]. La marque Radiola désigne à la fois des postes récepteurs TSF grand public produits par la Radio-technique et une station de radio qui obtient en 1922 l'autorisation des PTT pour émettre à Paris des émissions de TSF grand-public [7]. Radiola deviendra Radio Paris en 1924 et sera rachetée par l'État en 1933. En 1929, CSF aborde le secteur cinématographique par le biais de Radio-Cinéma qui fabrique des projecteurs de cinéma pour les salles de spectacles et les studios[5].

Sur le plan technique, la SFR propose dès 1922 des alternateurs haute fréquence autour de 10 Khz, pour générer l'onde porteuse typiquement de 25 000 mètres. Cette innovation technique renforce la position mondiale de la SFR, mais dans les années qui suivent, il est prouvé que les communications à longue distance doivent utiliser des ondes courtes (typiquement entre 10 et 200 mètres) et que le développement de cette gamme d'onde est possible grâce aux « lampes radio », c'est-à-dire des tubes électroniques de type triode découverts en 1907 par Lee De Forest. Ceci conduit la SFR à étudier les ondes courtes à partir de 1924 et à produire des tubes radio au sein de la société Radio-technique, à Suresnes[8].

Les relations financières restent fortes entre BPPB et la holding CSF, mais faibles entre la même BPPB et les filiales, car c'est la CSF qui joue le rôle de banquier vis-à-vis de ses filiales. Les recettes de la CSF proviennent de redevances versées par les filiales au titre de l'exploitation de brevets détenues par la maison mère alors que les dividendes restent faibles[5]. La CSF gère en effet au niveau central un laboratoire de recherches générales, et elle est détentrice de tous les brevets du groupe[6]

Aux alentours de 1929, on trouve aux conseils d'administration du groupe, outre les fondateurs Émile Girardeau et son camarade de promotion Paul Brenot, le général Paul Anthoine, de la promotion 1879 de Polytechnique et qui représente la BPPB, Louis Aubert, député de Vendée, qui représente la société Gaumont-Aubert-Franco-Films. La banque Gunzburg est représentée par Jacques de Gunzburg, son fils Jean et Henry Bousquet. La BPPB est également représentée par André Laurent-Atthalin et André Goüin (petit-fils d'Eugène Goüin). On peut encore citer le diplomate Jules Cambon et le mari de sa fille (Geneviève Tabouis) Robert Tabouis, Robert Delaunay-Belleville, Paul Gautier. Nicolas Pietri parent du ministre François Piétri et proche de Girardeau représente des intérêts financiers britanniques. Louis Wibratte, président de la BPPB est au centre de ce réseau d'hommes qui se fréquentent dans de multiples conseils d'administration[5].

Le resserrement sur l'électronique professionnelle lourde

Au tournant des année 1930, on assiste à un recentrage des activités de la CSF sur l'électronique professionnelle lourde: Radio-Paris sera cédée à l'État en 1933 et la Radio-technique, devenue Radiotechnique est restructurée avec l'aide de Philips[5].

En 1929, Girardeau confie à Maurice Ponte, un jeune normalien de 27 ans, en même temps que la responsabilité du département lampes (c'est-à-dire les tubes électroniques) de la SFR, la direction du Laboratoire de recherches générales, avec carte blanche pour recruter tous les jeunes physiciens spécialistes du rayonnement électromagnétique et de l'électronique. Un autre normalien, Yves Rocard avait été recruté un an auparavant pour s'occuper des petites lampes des récepteurs radio[9]. C'est ainsi que Ponte recrute Robert Warnecke et Pierre Grivet[6]. Il s'agit de prendre part à la course à la puissance qui s'est amorcée au tournant des années trente pour les émetteurs à onde courtes à la suite des travaux du japonais Yagi du développement balbutiant des magnétrons[9]. En 1934, sur la proposition d'Henri Gutton, un physicien dont le père Camille Gutton, avait étudié à l'université de Nancy la réflexion et la diffusion des ondes courtes sur les obstacles, le laboratoire de la CSF met en œuvre les ondes décimétriques pour déceler les obstacles. Ces études donneront naissance aux radars. Un détecteur d'obstacles CSF, ancêtre du radar équipe en 1934 le cargo Orégon de la compagnie générale transatlantique, un deuxième en 1935 équipe le paquebot Normandie[9], un troisième enfin, l'aviso de la marine nationale Ville d'Ys, affecté à l'assistance des pêches à Terre-neuve[réf. nécessaire].

À côté de l'activité radars dont le poids va devenir de plus en plus important au sein du groupe, la SFR poursuit l'installation d'émetteurs radio parmi lequel celui, très moderne de Radio-Luxembourg mis en service en 1931.

La Seconde Guerre mondiale

À l'approche de la guerre, les ingénieurs intensifient les études sur les radars : certains d'entre eux sont installés pour la défense de Paris. Paul Brenot reprend du service dans l'armée, et avec le grade de colonel, il développe les réseaux d'écoute et crée tout un réseau de brouillage[10].Le 8 mai 1940, Maurice Ponte lui-même est à Londres pour présenter aux Britanniques un magnétron de grande puissance[9]. Avec l'invasion allemande et l'occupation de la zone nord, les services de Brenot se replient en zone sud, et les usines de la CSF qui sont, pour l'essentiel en région parisienne, à l'exception de l'usine de Cholet, annexe de Levallois, acquise en 1936, sont occupées et contrôlées par les Allemands de la société Telefunken[11]. Des ingénieurs de la SFR sont repliés en zone libre dans l'usine installée à Lyon dans des locaux loués[12]. Plusieurs augmentations de capital soutenues par la BPPB permettent à la CSF d'investir lourdement dans un centre technique[5]. Ces activités d'études à Lyon peuvent être menées grâce à des marchés d'études passés par les administrations françaises au premier rang desquels se trouvent les PTT[10]. Le centre de Lyon et la S.F.R.A. à Alger sont créées dès le début de l'occupation pour échapper au contrôle des Allemands. D'après Fagot, les responsables de l'époque, Brenot, Kyticas, Ponte, Villem et Aubert « font preuve de beaucoup d'habileté pour protéger ces activités vis-à-vis des autorités allemandes, soit en les dissimulant, soit en minimisant leur importance »[10]. À Paris, la direction du personnel est soumise à des pressions pour envoyer du personnel travailler directement en Allemagne, chez Telefunken. Le Chef du personnel M.Vaudevire, ne reviendra pas de déportation et son adjoint Viennot en rentrera avec de gros problèmes de santé. Après l'invasion de la zone libre, en novembre 1942, Jean Roy, directeur technique du centre de Lyon, rejoint Londres pour développer le réseau de communication avec les clandestins. Yves Rocard qui avait quitté les laboratoires de CSF à Levallois en 1940 pour ne pas travailler avec les Allemands rejoint Londres en 1943[10].

En 1944 l'ensemble des stations radio installées par la CSF ainsi que l'ensemble du parc de Radio-Maritime, sont détruites[5].

La reconstruction

Après la Libération, Girardeau cède la place à son second, Robert Tabouis, jusque là secrétaire général. À partir de 1956, la CSF se restructure autour du « Centre de recherches techniques », nouveau nom de « Laboratoire de recherches »[5] et parallèlement, Ponte devient directeur technique d'abord, puis directeur général, en 1952 et enfin PDG de 1960 à 1967. La maison mère absorbe la SFR qui faisait déjà partie du groupe, la SIF (Société indépendante de TSF), dont l'usine est à Malakoff, dont les activités étaient voisines de celles de SFR et qui était aussi contrôlée par la CSF et Paribas, et SADIR-Carpentier, une société spécialisée dans la fabrication de radios traditionnelles dont les ateliers sont situés à Issy-les-Moulineaux [5],[13]. La Stéatite Industrielle Française, fabriquant de tubes électroniques, avait été absorbée pendant l'Occupation. Le redémarrage de la société s'appuie sur des commandes militaires dans le domaine des télécommunications et du radar qui prend de plus en plus de poids dans la société, au même titre que les tubes spécialisés, les métiers de base de la CSF[14]. Dans le courant des années cinquante, les PTT, puis le CEA deviennent également des clients importants. Le mode de soutien classique de la puissance publique au laboratoire de recherches de la CSF passe typiquement par la commande de séries de prototypes, soutien efficace pour des tubes électroniques, mais qui se révèle inadapté dans le domaine émergent des semiconducteurs[14].

Autour de 1950 un département de recherches physico-chimiques (RPC), rassemblant une soixantaine de personnes est installé à Puteaux. Il s'agit d'étudier les matériaux utilisés dans les tubes, mais les résultats de ce laboratoire peuvent déboucher sur d'autres composants comme les condensateurs pour laquelle est créée en 1951 la société « Le Condensateur Céramique » (LCC) [14]. C'est également au RPC dirigée par André Danzin qu'à partir de 1953, est assignée la tâche de développer des transistors en germanium dont les balbutiements datent de 1948 aux Bell Labs. Claude Dugas, qui avait été envoyé aux Bell Labs par Yves Rocard, est recruté pour créer au RPC un laboratoire germanium[14]. En 1955, l'usine de Saint-Égrève, jusqu'alors investie dans la fabrication de tubes commence l'industrialisation des transistors étudiés depuis 1953 au laboratoire de Puteaux. La production de transistors connait des débuts douloureux, Ponte tardant à comprendre que contrairement aux tubes, ce n'est pas le développement artisanal qui est un gage de qualité, mais, au contraire, une production de masse[14].

Le radar Cyrano dans le nez d'un Mirage III

Malgré ces déboires dans les transistors, CSF connait une expansion vigoureuse: en 1950, on compte près de 9 000 personnes dans le groupe, dont près de de 700 à 800 dans les laboratoires[14], et dix ans plus tard, les effectifs sont passés à 19 000 personnes dont 2 000 dans la recherche[15]. En 1958, cependant, CSF est obligée de réduire ses effectifs à la suite d'une réduction des programmes nationaux d'armements aéronautiques, mais dans les années qui suivent, le succès du Mirage III entraine celui du radar Cyrano qui est logé en son nez[16]. Les succès français dans le radar doivent être partagé avec le grand concurrent Thomson qui s'est affirmé dans le domaine de l'électronique professionnelle depuis le rachat en 1936 des établissements Kraemer à Asnières[17].

Les activités grand public sont peu à peu réduites à portion congrue, à l'instar de Radio-Cinéma que Ponte engage dans la voie de l'instrumentation scientifique en mettant toujours à profit ses relations dans le milieu universitaire et qui devient Cameca en 1954. En 1968, au moment de la fusion avec Thomson, Clarville avec ses 600 employés sera la seule filiale investie dans le matériel grand public[18].

La CSF en 1960

En 1960, la CSF est un groupe industriel de 19000 personnes, organisé de façon moderne en directions fonctionnelles et directions opérationnelles et dont l'ensemble des établissements se trouve surtout en région parisienne:

Le siège, les directions fonctionnelles et les services communs sont installés à Paris, boulevard Haussmann (8eme arrondissement) et boulevard Murat (16eme arrondissement). Dans la proche banlieue parisienne, on trouve notamment l'usine de Levallois-Perret, établissement historique de la CSF dont l'activité réside essentiellement dans la production des matériels professionnels à usage civil (radars,faisceaux hertziens, télécommunications, radiodiffusion, électronique industrielle, applications nucléaires), le centre Guynemer, à Issy-les-Moulineaux, qui assure la fabrication de télécommunications, de détecteurs de radars et de calculateurs, l'usine de Malakoff qui développe et produit les matériels professionnels à usage militaire et le centre de recherches physico-chimiques à Puteaux[15].

Dans la plus lointaine banlieue, à Orsay, à proximité du centre du CEA de Saclay créé en 1947, le centre de Corbeville, créé en 1957 pour accueillir les laboratoires de la rue du Maroc, regroupe le centre de Physique électronique et corpusculaire (CEPEC) et le département de physique appliquée. Dans l'ouest Parisien, à Sartrouville on trouve l'usine de pressage de disques de la S.A.I.P-Vega [19],[15].

En province, les centres les plus importants sont celui de Cholet, jumelé avec celui de Levallois-Perret, le centre Émile Girardeau à Saint-Égrève, près de Grenoble qui héberge la deuxième usine de tubes électroniques, après celle de Levallois-Perret et l'usine de la COSEM spécialisée dans la fabrication de composants semi-conducteurs (diodes, photodiodes, transistors), l'usine de Saint-Appolinaire près de Dijon qui produit des condensateurs et des pièces en céramique, l'usine de la SOCAPEX, à Cluses, étant spécialisée dans les connecteurs[15]. En 1963 sera créé dans le cadre du plan gouvernemental d'industrialisation de la Bretagne, le centre de Brest, site de production pour les autres unités du Groupe[20].

Au total, le nombre des établissements de la CSF en France dépasse largement la cinquantaine. L'implantation à l'étranger reste marginale. Quelques filiales résultant d'acquisitions font figure de têtes de pont pour une éventuelle expansion internationale: la CIR, en Suisse, comprend une usine de composants radio-électriques située à Gals-Béthléhem[15]. En Italie, Radio Italia fabrique du matériel professionnel à Rome et Microfarad, des condensateurs à Milan[15]. Aux États-Unis, enfin, Intec, dans l'État de New-York, ne réulte pas d'une acquisition mais a été fondée en 1960 pour adapter le matériel français aux normes américaines, avec fabrication en série avec des composants américains[21].

Les différentes activités de la CSF sont réparties en 7 groupes ou divisions qui dépendent d'une direction opérationnelle particulière:

  • Le groupement des Matériels Militaires (Gr.M)
  • Le groupement des Applications civiles de l'Électronique Professionnelle (Gr.CP)
  • Le groupement G (Électronique et Électromécanique) (Gr.G)
  • La division des tubes électronique (DTE) dirigée par Robert Warnecke.
  • Le Groupement Matériaux et Composants (GR.D) dirigé par André Danzin.
  • Le Groupement Grand Public (Gr.GP)
  • Le Département de Physique Appliqué.

La CSF et la science

En même temps qu'une proximité avec les administrations françaises, le rapport exceptionnel à la science représente pour la CSF de l'après-guerre un tropisme qui permet de différencier la société d'autres de la même taille et même de la même activité. Dirigée d'abord par des hommes de la radio, Girardeau et Brenot, puis par un scientifique Maurice Ponte qui deviendra académicien des sciences et qui a des contacts étroits avec d'autres scientifiques français de la même génération comme Louis Néel ou Yves Rocard, c'est au RPC de Puteaux qu'est assigné le rôle d'être le lieu où la recherche industrielle peut échanger avec la communauté scientifique. La CSF s'articule autour de son laboratoire central, suivant en cela l'intuition de Ponte selon laquelle l'électronique nouvelle basée sur la physique de l'état solide est en train de bouleverser les modes de productions industriels. Pour faire face à cette nouvelle donne, il est demandé à l'État une intervention massive qui dépasse la commande de quelques prototypes. En revanche, pour Ponte, dès 1945, sa société est là pour servir les intérêts nationaux. Les critères classiques de profitabilité sont relégués au second plan, et comme l'exprimera indirectement Ponte en 1960, les finances sont là pour servir la science[14].

« L'âme de la recherche suppose que le corps, c'est-à-dire, les finances, après tout, nous sommes dans un régime capitaliste, soient en bonne santé. »

L'excellence scientifique produit, par exemple, en 1958, le carcinotron, un tube original de faible puissance utilisé comme pilote à fréquence variable pour l'espionnage des radars adverses[16], mais aussi toute une gamme de matériel développé au sein du département accélérateurs dont l'intérêt stratégique pour la société est moindre. Il n'en n'est pas de même des développements de matériaux semiconducteurs en-dehors du domaine de la microélectronique classique, qui conduiront aux lasers semiconducteurs et mettront le futur groupe Thomson-CSF en position de pointe dans le domaine des télécommunications optiques[19].

Le plan calcul et la création de la CII

Vers 1963, le gouvernement français, désireux de constituer un pôle français de l'informatique et de chercher une issue à la crise financière que traverse la Compagnie française des machines Bull fait appel à la CSF qui est finalement amenée à se désengager au profit de l'américain General Electric[22] et la CSF sortira ternie de l'affaire[5].

À cette époque, on commence à pressentir l'importance de informatique, mais au sein des unités de la CSF, l'informatique ne se distingue pas forcément des activités liées aux automatismes, et dans ce domaine CSF est plus avancée dans les calculateurs analogiques que dans les calculateurs digitaux et pour pallier son inexpérience, elle s'allie en 1960 avec Intertechnique et TRW pour fonder la CAE, Compagnie Européenne d'Automatisme Electronique. En 1964, un accord est passé avec la CGE et Intertechnique pour créer une structure commune, la C.I.T.E.C. (Compagnie pour l'Informatique et les Techniques Electroniques de Contrôle), holding qui chapeaute diverses filiales impliquées dans les automatismes[22].

En 1967, le gouvernement français lance son « plan calcul » dont la pièce maitresse est la CII (Compagnie Internationale pour l'Informatique) créée par fusion de la CAE avec la SEA, filiale de Schneider[22]. En 1967, la CII figure comme filiale dans l'organigramme de la CSF[18].

La fusion avec Thomson (1968)

18 augmentations de capital entre 1944 et 1968 assurent la croissance de la CSF qui fait de plus en plus appel à des formules de dette obligataire (Gueit) et des emprunts à long terme comme l'emprunt à 6% du Groupement des Industries de la Construction électrique (GICEL) émis en juillet 1954[23]. La BPPB suit les différentes augmentations de capital et accorde à la CSF des crédits-export remboursables sur cinq ans et garantis par la COFACE. Les exportations représentent 26% du chiffre d'affaires de CSF en 1964[5].

Les résultats financiers de la CSF restent médiocre, les investissements consentis en vue de conserver un haut niveau technique ayant plus ou moins conduit au surendettement. En 1958, les frais de recherche représentent en moyenne 12% du prix de revient des produits. Le domaine du matériel professionnel où la CSF s'est cantonnée alourdit les en-cours et assèche la trésorerie en raison des délais entre la commande, la livraison et le paiement, ceci dans un contexte inflationniste[5].

Si le revenu industriel est faible, le revenu financier l'est aussi: les différentes participations de la Compagnie constituent un portefeuille dont le rendement décroit sans cesse, passant de 6% dans les années 1953-54 à 3% en 1963. La rémunération du capital ne suivant pas les résultats à la baisse, le ratio dividendes/bénéfice est de l'ordre de 0,85, plus élevé que celui d'autres entreprises comparables, comme la CGE où il ne dépasse que rarement 0,68. Tout ceci conduit à une capacité d'autofinancement particulièrement faible et donc à une fuite en avant dans les emprunts à long terme. Le rapport de la dette à long terme au capital passe de 0,27 en 1950 à 0,62 en 1960 après être passé par une pointe de 2,72 en 1958[5].

La faiblesse de l'autofinancement conduit inexorablement à un rapprochement avec d'autres groupes. L'État, de qui la CSF est complètement dépendante pour ses contrats militaires, encourage d'abord un rapprochement avec la CGE, puis, à partir de 1957 avec la CFTH (Compagnie française Thomson-Houston), qui commence par décliner la proposition. Des pourparlers en vue de coopération ou d'alliance ont lieu avec Philips, beaucoup plus puissant que CSF, puis avec Telefunken et enfin Olivetti. Dès 1952, des tentatives ont également lieu aux États-Unis avec Raytheon. La CSF essaye également de mettre en place des accords de recherche avec divers groupes français comme la CGE ou Péchiney, mais les seuls accords probants se font avec la hollandaise Philips autour de la Radiotechnique[5].

En 1967, la dépréciation de certains actifs et le provisionnement pour risque à la suite d'un audit sévère mené par la BPPB fait apparaître une perte de 138 MF et entraine la chute du cours de l'action en bourse. Thomson qui a absorbé en 1966 Hotchkiss-Brandt apparait alors comme le partenaire idéal. Les négociations entre Thomson et la BPPB durent un an. Thomson-CSF devient filiale à 46% du groupe Thomson-Houston-Hotchkiss-Brandt dont la BPPB devient l'un des principaux actionnaires. Le nouveau groupe français, avec un effectif de 64 000 personnes, peut prétendre à une stature internationale aux côtés de sociétés comme Philips ou AEG-Telefunken. Thomson-CSF représente le pôle électronique professionnelle et armement du groupe[5].

En 1967, à la veille de la fusion avec Thomson, Maurice Ponte est PDG de CSF et André Danzin son adjoint alors que le directeur général technique est Roger Aubert. Le siège du groupe a été transféré en 1965 du boulevard Hausmann à Paris à Rocquencourt, dans la banlieue ouest. La maison mère emploie 13 800 personnes et les filiales 15 000 pour un chiffre d'affaires de 1 500 millions de francs. Dans la future Thomson-CSF, CSF représente donc le gros morceau par rapport au « groupe électronique Thomson » qui, avec ses filiales pèse 12 500 personnes[24]. Au sein de la maison mère, le groupement détection, c'est-à-dire les radars, mobilise plus de 6 500 personnes autour des gros sites de Malakoff et Issy-les-Moulineaux et de l'usine de Brest; Le groupement Télécommunication - Télévision – Radiodiffusion mobilise 3 300 personnes autour des sites de Levallois et de Cholet; 1 500 personnes, enfin travaillent dans le groupement Tubes. Le groupement Scientifique qui regroupe diverses activités de recherches non rattachées directement à un autre groupement emploie 1 300 personnes[18]. Le centre de Cagnes-sur-Mer spécialisé dans les sonars et créé en 1960 à la demande de la marine nationale pour le guidage des torpilles sous-marines, est rattaché au groupement Détection avec quelque 400 personnes[25]. Les activités correspondant à des composants autres que les tubes sont menées dans des filiales. Avec près de 2 500 personnes, LCC-CICE, fabricant de condensateurs et de céramiques à Saint-Apollinaire est l'une des plus grosses de ces filiales. La COSEM qui fabrique maintenant des circuits intégrés sur substrat silicium à Saint-Égrève, emploie 1 500 personnes.

Bibliographie

  • François Jacq, « Pour une approche dynamique des systèmes de recherche et d'innovation – Éléments pour une analyse du cas français », Revue d'économie industrielle, 1997, vol. 79, no 1. Cette publication est dérivée d'une thèse de l'École des Mines.
  • Pascal Griset, « La société Radio-France dans l'entre-deux guerre », Histoire économie et société, 1983, vol. 2, no 1, p. 83-110.
  • Lydiane Gueit, « Un exemple du partenariat banque/ industrie – Paribas et la CSF (1918-1968) », Histoire économie et société, 2001, vol. 20, no 1. Cette publication est dérivée d'une thèse de l'École des Chartes.
  • Louis Néel, La Vie et l'œuvre de Maurice Ponte, archives de l'académie des sciences.
  • Yves Blanchard, Le Radar, 1904-2004 – Histoire d'un siècle d'innovations techniques et opérationnelles, éditions Ellipses (ISBN 2729818022).
  • La CSF, brochure de présentation, 1961.
  • Henri Viaux, « L'indexation des valeurs mobilières dans la pratique », Revue économique, 1955, vol. 6, no 2.
  • Vincent Porhel, « L’autogestion à la CSF de Brest », dans Dreyfus-Armand et al., Les Années 68, Paris, 2000.
  • Jacques Fagot et André Delasalle, « La CSF-SFR », dans Historique Thomson, le groupe de 1893 à 1977, livre à usage interne, p. 521-573.
  • Georges Galleret, « Le groupe électronique Thomson jusqu'en 1968 », dans Historique Thomson, le groupe de 1893 à 1977, livre à usage interne, p. 489-517.

Références

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  2. Jacques Fagot et André Delasalle, la CSF-SFR, dans « Historique Thomson, le groupe de 1893 à 1977 », livre à usage interne, p. 527
  3. Émile Girardeau, Souvenirs de Longue vie, Berger-Levrault, 1968, p.52
  4. a et b Fagot, op. cit. p. 528-529
  5. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l, m, n, o, p, q et r Lydiane Gueit, Un exemple du partenariat banque/industrie: Paribas et la CSF (1918-1968), Histoire économie et société, 2001, Vol.20, n°1
  6. a, b et c Yves Blanchard, Le Radar, 1904-2004. Histoire d'un siècle d'innovations techniques et opérationnelles, éditions Ellipses. (ISBN 2729818022) p. 77-81
  7. Site 100 ans de radio
  8. Fagot, op. cit. p. 532-534)
  9. a, b, c et d Louis Néel, La vie et l'œuvre de Maurice Ponte, archives de l'académie des sciences
  10. a, b, c et d Fagot, op. cit. p. 539-541
  11. Fagot, op. cit. p. 531 et p. 540
  12. Girardeau,op. cit., p.304
  13. Fagot, op. cit. p. 542
  14. a, b, c, d, e, f et g François Jacq, Pour une approche dynamique des systèmes de recherche et d'innovation: éléments pour une analyse du cas français, Revue d'économie industrielle, 1997, volume 79, n°1
  15. a, b, c, d, e et f (La CSF, brochure de présentation, 1961
  16. a et b Fagot, op. cit. p. 557
  17. Georges Galleret, le groupe électronique Thomson jusqu'en 1968, dans Historique Thomson, le groupe de 1893 à 1977, livre à usage interne, p. 462
  18. a, b et c Fagot, op. cit. p. 571-573
  19. a et b Fagot, op. cit. p. 554_555
  20. Vincent Porhel, L’autogestion à la CSF de Brest, dans Dreyfus-Armand et al., Les Années 68, Paris 2000
  21. Fagot, op. cit. p. 564-565
  22. a, b et c Fagot, op. cit. p. 558-559
  23. Henri Viaux, L'indexation des valeurs mobilières dans la pratique, Revue économique, 1955, Vol.6, N°2
  24. Galleret, op. cit. p. 517)
  25. Fagot, op. cit., p. 554 et p. 568

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Compagnie générale de la télégraphie sans fil de Wikipédia en français (auteurs)

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