Étymologie de Liège

Étymologie de Liège
Carte de Cabinet des Pays-Bas autrichiens levée à l'initiative du comte de Ferraris vers 1770 : inscription LIEGE

L'étymologie du nom de la ville de Liège a suscité, depuis le Moyen Âge, une longue série d'hypothèses[1].

La dernière révision toponymique permet de situer l'origine de Liège au temps du Bas-Empire romain, en adéquation avec les vestiges de la place Saint-Lambert attestant une présence romaine, probablement prospère du Ier au IXe siècle. Abandonnée du IVe au VIIIe siècle, les invasions germaniques ébranlant définitivement tant la défense romaine que son administration. Ce serait Saint Hubert que relancerait la construction sur les fondation de la villa en l'honneur de son prédécesseur Saint Lambert au plus tard en 705.

Sommaire

Hypothèses imaginaires

Les plus anciennes, jusqu'au XVIIe siècle même, n'ont guère de fondement et relève généralement de l'étymologie populaire, ou mieux, de l'étymologie pseudo-savante, avec des jeux de mots frisant le pur calembour ou les révisions imaginaires de l'histoire.

Historique onomastique

À partir du milieu du XIXe siècle apparaissent des études scientifiques de différentes portées et de différentes valeurs, qu'il serait long d'énumérer.

Celles qui ont embrassé l'ensemble de la question et qui ont fait le point à un moment donné sur la question sont les suivantes:

  • Godefroid Kurth[2], un des plus grands historien de Liège, dans Les origines de la ville de Liège en 1882 et qu'il a augmenté d'un autre article sur la Légia a réalisé la première synthèse d'ensemble[3].
  • Un demi siècle plus tard, Paul Aebischer (de)[4], un excellent linguiste suisse a publié Les origines du nom de Liège, qu'il éditera en 1957.
  • En 1980, Jules Herbillon (wa)[5], qui a publié le traité des origines des noms de famille belge a retracé, en la mettant à jour, une Petite histoire du nom de Liège,
  • Louis Deroy[6], Nouvelles réflexions sur l'origine du nom de Liège, a finalisé et compulsé l'ensemble de ces différentes réflexions et achevé le tour du problème, ne laissant que peux de doutes, tout en laissant quelques questions ouvertes.

L'hypothèse celtique

Seul un grand maximum d'une centaine mots celtiques sont tenus comme hypothèse sérieuse[7], il parait donc difficile d'émettre une hypothèse.

Il est certain que les hypothèses celtiques sont peu satisfaisantes, et qu'elles relèvent de la plus haute fantaisie[8]. Elles sont citées ici a titre anecdotique, comme les sources légendaires, vide infra:

Selon certains, le nom de Liège serait de même origine que l'ancien nom de Paris:

  • Lutèce, nom celtique, (ce qui est une erreur).

La forme allemande de Liège, Lüttich, suggère d'ailleurs ce rapprochement. Liège et Lutèce viendraient dès lors de lucotaekia (sur lucot-, souris, cf. breton logod, vieil irlandais luch, souris[9].

  • Lutetia (sur luto-, marais; cf. gaëlique loth, marais. Cet élément semble se retrouver dans la ville de Leuze, jadis Lotusa, d'un possible *Lutosa[10],[11].

Liège et Lîdje

Le nom de Liège n'est attesté par des écrits qu'à partir du XIIIe siècle, époque où l'évêché de Liège, moins étroitement lié l'Empire germanique, a noué plus de relation avec la France. Il en est résulté un afflux de la culture de la langue française dans le Pays de Liège. On peut dès lors croire que la forme wallonne locale était déjà très proche de celle qu'on trouve attestée plus tard et qui est encore aujourd'hui Lîdje.

De Leodicum à Leodium

Pour remonter dans le passé du nom de Liège nous ne possédons que les formes latines, dont les plus anciennes sont du VIIIe-IXe siècles, c'est-à-dire l'époque franque. Les rois francs, prenant la succession des romains en Gaule, ont maintenu les bases romaines de l'organisation antérieure, gardant à leur service les fonctionnaires gallo-romains, et conservant l'usage du latin comme langue de communication générale. Dans ce latin mérovingien, et ensuite carolingien, bon nombre de termes franciques vont s'introduire pour des raisons pratiques. C'est vers le IXe siècle que le double usage va se constituer, l'usage populaire va constituer les nombreux dialectes romans — chez nous le wallon — tout en gardant le latin, en usage dans l'administration et l'église. Ce sont ces documents qui nous ont conservé les anciens noms de Liège [12].

L'appellation latine courante au XIIIe-IXe siècle est Leodium. Mais on trouve encore plusieurs fois la forme plus ancienne dont elle dérive Leodicum, ainsi qu'une variante Leudicum. Parallèlement, on trouve aussi les formules in vico Leodico et in vico Leudico.

Legia

Une autre appellation latine est attestée à partir du Xe siècle: c'est Legia, avec des graphies Ledgia, Letgia, Lethgia, Leggia, qui pourraient être des variations mais aussi des archaïsmes de Legia. Il semble que Legia soit attesté légèrement plus tard que Leodium, mais cela n'indique pas nécessairement que Legia ait été secondaire par rapport à Leodium. En tout cas dès le XIe siècle les deux noms sont utilisés parallèlement sans s'exclure ni se confondre. Dans un poème du XIe siècle, on trouve concurremment neuf fois Leodium et huit fois Legia[13]. Il s'agit déjà peut-être d'un figure de style[14].

Les érudits du Moyen Âge et de la Renaissance ne se sont curieusement pas interrogé sur l'origine des deux noms de la ville et car leurs hypothèses étymologiques ont toujours été évoquées séparément[15].

Legia & Leodium

Hypothèses légendaires

Dans la Vita Servati[16] – et répétées dans quelques textes ultérieurs – selon une légende Saint Monulphe arrivé sur les hauteurs de Liège, voyant une croix au fond de la vallée aurait prononcé " Voici la place que le Seigneur à choisie — en latin élegit — elle s'égalera aux plus grandes cités ". L'étymologie consistait à proposer le thème leg-, choisir. Quant à Leodium le même texte donne l'appellation Leo divas, "lion divin" appliquée à Saint-Lambert.

Une autre étymologie du Moyen Âge rattachait legia à legis — génitif de lex — présentant la ville de "la loi". Le chapitre de Saint-Lambert en 1328 se plaignait auprès du pape que la ville fut devenue legis odium, la haine de la loi …

Au XIVe siècle, un érudit italien, appelé Villani, rapporta que la vieille et noble cité de Legia avait été fondée par les Romains et qu'elle avait ainsi été appelée en référence aux légiones qui y étaient cantonnées[17].

Selon Hubert Thomas, au XVIe siècle, la ville aurait eu, sous un autre nom, une origine lointaine: fondée par un compagnon d'Ulysse[18], le vieux héros grec Oenops. Celui-ci l'aurait appelée Leodium en souvenir de son fils Leôdès, qu'il avait abandonné à Ithaque[17].

En réalité le rapport entre Legia et Leodium reste obscur et les spécialistes récents n'ont pas résolu cette dualité[19].

Origine de Leodium

On considère que l'adjectif leudicus ou leodicus, qui va donner leodium, a été formé à l'époque mérovingienne par suffixation de leudis ou leodis, terme du vieux francique et désignant tout homme qui, dans une tribu ou une nation germanique, n'était pas d'origine étrangère au peuple et, libre – par opposition à l'esclavage – et vassal du roi. Tous ces hommes de la nation franque étaient des leutes[20].

Nombre de termes repris aux parlers franciques vont trouver des termes dans d'autres langues germaniques:

Ces diverses attestations permettent de restituer un terme germanique commun *leud racine probabel indo-européenne *(e)leudh – libre –, pour donner en latin liber et le grec eleutheros.

De ce terme francique est dérivé en latin médiéval, l'adjectif leudicus, qui a du signifier "qui appartient aux homme libres", "qui appartient au peuple".

Origine de Legia

Il s'agit certainement d'un autre nom, les textes l'utilise aux IXe et Xe siècle. Certain ont alors imaginé qu'il s'agissait du petit ruisseau – appelé maintenant la Légia – qui venant des hauteur d'Ans, traversant la cité pour rejoindre la Meuse, mais très peu d'anciens historiens la cite comme tel: Seul un anonyme en 1118 [21] et Jean d'Outremeuse au XIVe siècle[22]. Mais si cette hypothèse hydronymique reste plausible – en effet certains villages on pris le nom de la rivière comme Amblève, Haine, Lesse, Mehaigne – il n'en resta pas moins que l'origine reste obscure.

En 1584, le géographe Abraham Ortelius va donner ce commentaire [23]:

  • D'où vient le nom de Liège (Leodium), nous n'en avons nulle assurance, et s'il est vrai qu'à ce propos circulent beaucoup d'avis, il ne s'y trouve rien qui semble de quelque valeur. Dans le parler local on dit Liege; et il en est parfois qui ajoutent qu'on appelle ainsi le ruisseau qui, tenant son origine des collines voisines, coule à travers le marché; mais cette opinion n'est reçue que de peu de personnes; bien mieux, chez la plupart des gens, on ne sait pas si ce fameux ruisseau a un nom.

En 1920, Jules Feller suggère que Légia est une invention qui est calquée sur la prononciation populaire Lîdge venant du bas latin lige ou liege – libre de toute charge – et simplement latinisée par les érudits médiévaux[24]. Il démontre que siège (sedicu) devient sîdje, piège (pedicu) pidje etc … Ledicus a suivi la même évolution: *ledigu devient au VIe siècle *leydyu qui devient en vieux français liege et lige, en wallon liégeois lîdje[25]: libre (de toute charges). On utilise encore aujourd'hui métaphoriquement "homme lige"[26].

Ce qui donnerait l'adjectif latin leticus, ou laeticus, dérivé de laetus, au pluriel laeti : les lètes.

Les Laeti – qu'on appelle parfois en français les "lètes" – étaient des sortes de colons d'origine germanique installé par l'autorité impériale romaine en diverses régions de l'empire mais particulièrement en germanie inférieure, pour réduire le risque de nouvelles invasions: des terres inoccupées leur étaient concédées héréditairement, à charge pour eux de les cultiver et au besoin de servir dans l'armée romaine comme auxiliaire pour les défendre. Ils étaient également libres de garder leurs coutumes.

Ce terme apparait déjà dans des documents de 297 [27] et 311 [28]. Cette situation correspond à l'affaiblissement des limes romaines qui vont organiser un repli vers la Meuse entre 250 et 400, cette période de réorganisation correspondant à l'institution des Lètes[29]. La gestion des terres "létiques" – laeticus – est utilisée en 399[30].

Laeticus, avec le sens "libre, vacant, inoccupé" est passé du latin aux parlers germaniques

Il semble donc que le vico leudico de Liège était une leticae terrae, une terre libre, vacante ... Le mot semble s'être transformé de laetica en lediga au IVe siècle et successivement ledia, lédya, et ledja pour devenir lîdje en wallon et Liège en français.

Un territoire différent

On peut aussi se demander si Leodium ne couvrait pas, pour les administrateurs de l'époque une surface plus importante que Legia. La formule Legia in Leodium pourrait le suggérer[31].

Lüttich et Luik

Ces formes allemandes et néerlandaises viennent, elles de la forme Leudicum.

  • On trouve Lutheche au XIIe siècle[32]. A. Boileau, Toponymie dialectale germano-romane du nord-est de la province de Liège, Paris 1971, p. 360-361.
  • Le néerlandais Luik, serait issu, – au témoignage de Juste Lipse – de Leodijck et plus vulgairement Luydijck [33].

Liége et Liège

On sait que la prononciation française ancienne faisait entendre un é (fermé) et qu'après avoir écrit Liege[34], on a ensuite, pendant longtemps, écrit Liége, même quand, dans la prononciation française commune, é fut devenu un è ouvert. C'est seulement en 1878 que l'Académie française a décidé de changer, dans l'orthographe, les finales ége en ège. Mais Liège, comme nom de lieu hors de France n'a pas été tout de suite affecté. C'est en 1946 seulement que la graphie Liège a été adoptée par une décision officielle.

Article détaillé : Liége.

Articles connexes

Références

  1. Visage d'Olne, annexes, 2006, vide J.Ph. Moutschen, Bruno Dumont et all.
  2. Godefroid Kurth, BSAH du diocèse de Liège, 2, 1882, pp. 10-31 & BIAL, 37, 1907, p. 123-149
  3. En 1882, G. Kurth ne connaissait pas la présence de vestiges romains découverts en 1907: l'absence totale de toute espèce de restes romains sur le sol de la ville ..., in Les Origines... p. 63
  4. Paul Aebischer: Revue Belge d'Archéologie et d'Histoire, 35, 1957, pp. 643-682
  5. Jules Herbillon, Vieux-Liège, Tome IX, n° 210, 1980, pp. 559-566
  6. Louis Deroy, Vieux-Liège, Tome X n° 224, 1984, p. 537-548
  7. Jean Lechanteur, 2006 Ulg, note à J.Ph. Moutschen in Visages d'Olne, 2006
  8. Citons par exemple celles d'un certain Xavier Delamare, Dictionnaire de la langue gauloise, éditions errance 2003, aussi connu pour avoir été condamné pour escroquerie intellectuelle et qui ne présente aucune référence sérieuse
  9. Pierre-Yves Lambert, Dictionnaire de la langue gauloise, éditions errance 1994.
  10. Xavier Delamare, Dictionnaire de la langue gauloise, éditions errance 2003.
  11. Rapellons que les éditions errance publie les écrits de membre de la scientologie.
  12. vide: les relevés de G. Kurth
  13. Kurth 1907, op. cit.
  14. Lutèce pour Paris, par exemple
  15. Louis Deroy, ibidem, 1984, pp. 537-548
  16. La Vita Servatii, est composée vers 1080 copie de la Gesta antiquissima, écrit début du VIIIe siècle, dont une grande partie serait une compilation de l'Historia ecclesiastica Francorum de saint Grégoire de Tours, publié par G. KURTH dans le Bulletin de la Société d'Art et d'Histoire du diocèse de Liège, (BSAH) t.I.
  17. a et b G Kurth 1887, op.cit
  18. L'Odyssée, XXI, 144 ss.
  19. Louis Deroy, op. cit., 1984, pp. 537-548
  20. leudis in la Loi Salique de Grégoire de Tours
  21. dans le Chronicon rhytmicum leodiense: rivus noster cui nomen legia
  22. selon le rive en quoy elle se bangne
  23. Itinerarium per nonnullas Galliae Belgicae partes, Anvers 1584, p. 19
  24. La vie wallonne, 1, 1920, p. 388
  25. J. Haust, Dictionnaire liégeois, 1933.
  26. A. Dauzat, J. Dubois, H. Mitterrand, Nouveau Dictionnaire étymologique, Paris , 2ème ed. 1971
  27. Panégyrique de Constance, anonyme
  28. Constantin, anonyme
  29. Louis Deroy, ibidem, 1984, notes 26 p. 544
  30. le terme apparait dans le Codex Theodosianus employé par l'empereur Honorius dans un courrier à Messala: XII, 11, 10, ed 1905, The theodosian Code, 1969 p. 403 & 585: …, quitus terrae leticae administrante sunt …
  31. Kurth, 1907 op. cit.
  32. signalée par Aebischer, op, cit, p. 678, n.4
  33. vide Porliorceticôn, Anvers, 1596, p 17: Leodijck, et magis vulgare Luydijck
  34. proche de la prononciation régionale liégoise Liéch, influencée par le wallon

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