Bataille de Prokhorovka

Bataille de Prokhorovka
Bataille de Prokhorovka
Informations générales
Date 12 juillet 1943.
Lieu 51°2′11″N 36°44′11″E / 51.03639, 36.7363951°2′11″N 36°44′11″E / 51.03639, 36.73639
Prokhorovka, Région de Koursk, 250 km au Nord de Kharkov, RSFS de Russie, URSS.
Issue Victoire défensive tactique soviétique[1]
Impasse opérationnelle[2],[3]
Échec stratégique allemand[4]
Belligérants
Flag of the Soviet Union (1923-1955).svg Union soviétique Drapeau : Allemagne Reich allemand
Commandants
Nikolai Vatutin
Pavel Rotmistrov
Erich von Manstein
Paul Hausser
Forces en présence
Front de Voronej:
  • 1e Armée de chars.
  • 69e Armée.

Front de la steppe:

  • 5e Armée de chars de la Garde.
  • 18e Corps de chars.
  • 29e Corps de chars.
  • 5e Corps mécanisé de la Garde.
  • 5e Armée de la Garde.
2e SS-Panzerkorps:
Pertes
~ 5500 soldats
~ ~700 chars et canons automoteur[5]
~ 550 soldats SS
~ 60-70 chars[5]
Seconde Guerre mondiale
Batailles
Front de l’Est

Campagne de Pologne · Guerre d’Hiver · Opération Barbarossa · Guerre de Continuation · Opération Silberfuchs · 1re bataille de Smolensk · Bataille de Kiev (1941) · Siège de Léningrad · Bataille de Moscou · Seconde bataille de Kharkov · Opération Fall Blau ·Poche de Demiansk · Poche de Kholm · Bataille de Stalingrad · Opération Uranus Opération Saturne ·Opération Mars  Bataille de Krasny Bor · Bataille de Koursk · Offensive Ostrogojsk-Rossoch · Bataille de Prokhorovka · 2e bataille de Smolensk · Bataille du Dniepr · Bataille de Tcherkassy · Opération Bagration · Insurrection de Varsovie · Guerre de Laponie · Bataille de Budapest · Siège de Breslau · Bataille de Königsberg · Offensive de Vienne · Bataille de Seelow · Bataille de Bautzen  · Bataille de Berlin (et prise du Reichstag) · Insurrection de Prague · Offensive de Prague


Front d’Europe de l’Ouest


Campagnes d'Afrique et du Moyen-Orient


Bataille de l’Atlantique


Campagnes de Méditerranée et d'Europe du Sud


Guerre en Asie et dans le Pacifique


Guerre sino-japonaise

La bataille de Prokhorovka fut une bataille livrée principalement par la 4e Armée de Panzers de la Wehrmacht et la 5e armée de chars de la garde de l'Armée rouge sur le Front de l'Est durant la Seconde Guerre mondiale. Elle est considérée comme la plus grande[6] bataille de chars de toute l'histoire militaire.

Le 5 juillet 1943, l'Oberkommando der Wehrmacht déclenche l'opération Citadelle. L'objectif du Haut Commandement allemand est de porter un coup fatal et décisif aux forces soviétiques sur le saillant de Koursk et ainsi de reprendre l'initiative sur le front de l'Est. Détruire l'Armée rouge permettrait à la Wehrmacht de reprendre l'offensive et mettre fin à sa situation de repli défensif. L'opération fut menée par cinq armées terrestres allemandes qui devaient prendre en tenaille et encercler les armées soviétiques sur chaque côté du front de Koursk. Le commandement suprême soviétique, la Stavka avait prévu l'attaque allemande et par conséquent prépara une défense en profondeur le long des lignes de front selon la stratégie militaire soviétique. Le maréchal de l'Union Soviétique Gueorgui Joukov convainquit Staline que l'Armée rouge devait maintenir une position défensive et user l'armée allemande. Quand les forces allemandes se seraient suffisamment épuisées à tenter de briser la défense soviétique, les Soviétiques lanceraient alors une contre-attaque avec leurs réserves situées à l'arrière pour venir à bout de la Wehrmacht affaiblie.

Dans le contexte de la bataille de Koursk, les forces allemandes avaient été stoppées dans le secteur nord, près d'Orel. Cependant, au sud, les formations de la Wehrmacht et des Waffen-SS avaient réalisé une profonde percée et s'étaient approchées de Prokhorovka. L'Armée rouge avait été contrainte d'engager ses troupes de réserve plus tôt que prévu pour contrer l'assaillant. Le conflit qui en résulta se produisit le 12 juillet 1943 et est aujourd'hui considéré comme l'une des plus grandes batailles de chars de toute l'histoire militaire.

Celle-ci se révéla décisive dans la poursuite de la guerre car elle constitua le tournant majeur, avec Stalingrad des opérations sur le front de l'Est. En effet, elle mit définitivement fin à toute offensive allemande et la contraignit par la suite, et cela jusqu'à la fin de la guerre, à opter pour un repli stratégique et défensif. Les forces allemandes ne cessèrent de reculer après cette bataille. Le point culminant et le résultat de cette bataille provoque encore aujourd'hui des contentieux et des désaccords entre historiens. L'assaut allemand échoua dans l'accomplissement de son objectif stratégique, mais obtint tout de même certaines victoires lors de plusieurs engagements tactiques. Les soviétiques connurent également des succès dans leur stratégie défensive et empêchèrent les formations allemandes de percer à travers leurs lignes. Néanmoins, les attaques soviétiques contre les positions allemandes furent repoussées. À la fin de la bataille, les deux armées avaient subi de lourdes pertes. Les divisions SS furent sévèrement touchées. Les pertes soviétiques furent plus importantes, mais les effectifs et les réserves de matériel supérieures en nombre permirent à l'Armée rouge de conserver l'initiative stratégique et opérationnelle[7].

Sommaire

Contexte

À l'hiver 1942–1943, la 6e armée allemande a été battue à la bataille de Stalingrad. Les opérations soviétiques ultérieures à savoir l'opération Uranus, l'opération Wintergewitter et enfin l'opération Saturne menacèrent la position du Groupe d'Armées Sud allemand. Les opérations soviétiques, bien que victorieuses, n'ont pas pour autant détruit entièrement le Groupe d'Armées. Ces contre-offensives militaires ont permis de libérer une grande partie du Caucase de l'occupation allemande au prix de 70 000 victimes[8]. Enthousiaste au vu de ces nombreux succès, Staline ordonna, par la suite, à l'Armée rouge d'encercler le Groupe d'Armées Sud allemand en le poussant vers Rostov-sur-le-Don.

L'Armée rouge progressa mais s'étira sur un large front. Erich von Manstein saisit l'occasion et en profita pour lancer une contre-offensive improvisée qui s'inscrivit dans la troisième bataille de Kharkov. Tout comme pour la seconde bataille de Kharkov, les forces allemandes, mobiles, prirent en tenaille les armées soviétiques par les flancs et les anéantirent. Cette victoire allemande permit à la Wehrmacht et aux SS de reprendre possession de Kharkov le 14 mars 1943 et de repousser l'Armée rouge jusqu'à l'arrière du Don, dans le secteur nord. Dans le même temps, ils perforèrent les lignes soviétiques pour créer un saillant d'environ 250 km du nord au sud. Les allemands firent quelque 9 000 prisonniers soviétiques et en tuèrent 23 000 autres. Les chiffres soviétiques quant à eux recensèrent 45 000 morts et capturés.

Bataille de Koursk. La Bataille de Prokhorovka se déroula sur le front Belgorod-Koursk, dans le secteur Sud.

Les forces allemandes reprirent également Belgorod situé au sud de Koursk. Cependant, Koursk resta aux mains des Soviétiques. L'avancée allemande au-delà de Kharkov fut bientôt ralentie et finalement stoppée par les groupes de résistance soviétiques qui ne faisaient que croître et se renforcer. Aucun des deux camps n'avait la force de continuer l'offensive, ce qui aboutit à la formation du front de Koursk. Adolf Hitler et le Haut Commandement allemand choisirent le front relativement étroit du secteur de Koursk pour mener une offensive de grande envergure dans le but de porter un coup décisif aux forces opérationnelles soviétiques. Ceci devait restaurer un certain équilibre sur le front de l'Est et par la suite permettre de reprendre l'initiative stratégique[9]. Mais les services de renseignement soviétiques comprirent rapidement les intentions de l'ennemi en interceptant des messages révélant le déclenchement d'un assaut général prévu pour l'été 1943. À la différence de Moscou en 1941, la défense stratégique de Koursk par les Soviétiques ne concernait pas la totalité du front. Ceci permit à ces derniers de préparer une sérieuse défense qui s'étendit sur plus de 100 km de profondeur. Les soviétiques engagèrent dix armées soviétiques entières, contenant quarante armées combinées et cinq armées de blindés opérant sur un front de 2 000 km de longueur pour une profondeur de 600 à 700 km[10]. La Stavka autorisa une stratégie défensive ayant pour but de contenir et d'user progressivement le fer de lance de l'armée allemande en la forçant à entamer de multiples lignes de défense lourdement fortifiées et défendues par des unités de l'Armée rouge combinant divers types d'armements. Une fois l'offensive allemande contrée, les réserves de blindés soviétiques opérationnels pourraient contre-attaquer et détruire ce qui restait de l'armée ennemie affaiblie.

Les forces en présence

Forces allemandes

Les forces allemandes impliquées dans l'affrontement provenaient premièrement de trois divisions Waffen-SS, lesquelles avaient déjà subi des pertes durant les jours précédant. La 1re division SS "Leibstandarte", la 2e division SS "Das Reich" et la 3e division SS "Totenkopf" engagèrent l'offensive avec 456 chars et 137 autres véhicules d'assaut blindés, incluant seulement 35 chars Tigre. Il est également possible qu'une brigade supplémentaire ait été engagée dans le combat. La 10e brigade de Panzers avait été créée le 23 juin 1943 et était forte de 45 chars Tigre. On ne sait toujours pas à ce jour si cette unité participa à l'affrontement. Il est également possible que cette unité rejoignit la 2e division de Panzers "Das Reich", et qui aurait ainsi soutenu cette force de 70 Tigres supplémentaires. De fait, le nombre total de blindés et de chars d'assaut disponibles le 11 juillet 1943 atteignait 400 véhicules, en prenant en compte les 70 Tigres[11].

Cependant, les sources soviétiques affirmèrent que les Allemands possédaient 500 à 700 chars[12]. Les sources allemandes ne sont pas complètes quant au nombre de blindés réellement engagés le 12 juillet 1943. Selon ces sources, 204 chars allemands étaient disponibles le 11 juillet parmi les 1re, 2de et 3e divisions de Panzers SS Grenadiers (77, 95 et 122 chars respectivement). Le jour suivant, le 12 juillet, les chiffres pour la 1re division de Panzers grenadiers restèrent inconnus, mais les forces des deux divisions restantes comptèrent 103 et 121 blindés. Le 13 juillet, les témoignages indiquent 70, 107 et 74 chars disponibles. Pour ce qui est du 14 juillet, les chiffres rapportés sont de 78, 115 et 73 chars. Quant au 15 juillet, une nouvelle baisse aboutit à 85, 99 et 77 tanks recensés. Le dernier enregistrement, celui du 16 juillet, compta 96, 103 et 96 chars encore opérationnels pour les 3 divisions[12]. Le IIe "SS Panzerkorps" débuta la bataille de Koursk avec 494 tanks, le 12 juillet, ses forces ont chuté à 200 chars exactement[13].

En ce qui concerne les forces aériennes allemandes, celles-ci rassemblaient un corps de la Luftwaffe, le VIIIe Fliegerkorps. Il comprenait 966 avions de guerre prêts à combattre le 5 juillet 1943[14]. Entre le 5 et le 8 juillet, le "Generalquartiermeister der Luftwaffe" enregistra la perte de seulement 41 appareils. Les pertes du 8 au 11 juillet ne sont pas claires. Cependant, l'on sait qu'environ 220 avions furent perdus sur la face sud du front de Koursk entre le 5 et le 31 juillet[14].

Forces soviétiques

Du côté soviétique la principale formation engagée fut la 5e armée de chars de la Garde. Celle-ci totalisait jusqu'à 800 à 850 blindés. Cependant, beaucoup d'entre eux n'étaient que des chars légers T-70. La 5e armée de chars de la Garde comprenait 409 T-34, 188 T-70, 31 chars Churchill obtenus en prêt-bail par les Britanniques, 48 canons auto-moteurs de type SU-122 et SU-76, et un petit nombre de KV-1 en bon état. Contrairement aux affirmations de certains comptes de la bataille, aucun SU-152 ou SU-85 ne fut engagé sur le champ de bataille. Selon les sources soviétiques, ces chiffres n'incluent pas le 2e corps de chars ni le 2e corps de chars de la Garde ni le 1 529e régiment de canons auto-propulsés[15]. L'Armée rouge engagea sur le terrain le 2e corps de chars de la Garde et le 29e corps de chars ainsi que le 18e corps de chars dans les premiers affrontements. Le 5e corps mécanisé et le 2e corps de chars toujours affaiblis et en manque d'effectifs furent gardés en réserve. Le 18e corps de blindés engagea 144 chars l'après-midi du 11 juillet, pendant que le 29e corps en envoya 212. Avec les autres formations engagées durant la journée, le nombre total de blindés soviétiques atteignit probablement le nombre de 500 chars. La 1re armée blindée soviétique attaqua aussi des éléments du 48e "Panzerkorps" allemand mais cela n'est pas directement lié à la bataille de Prokhorovka. Des recherches complémentaires ont révélé que 294 véhicules de combat blindés allemands et 616 véhicules de combat soviétiques, avec un maximum de 429 véhicules allemands et 870 pour l'Armée rouge selon d'autres chiffres, prirent part à la bataille[16].

L'aviation soviétique concentra d'importantes forces. La 2e armée de l'Air, malgré de fortes pertes la semaine précédant la bataille, put additionner 472 appareils opérationnels. Parmi eux, 266 étaient des avions de combat, 160 des bombardiers et 90 des Iliouchine Il-2 Sturmovik. La 17e armée de l'Air fut également engagée. Celle-ci avait également souffert de lourdes pertes les semaines passées mais réussit à rassembler 300 avions de guerre prêts à combattre. Cette puissance aérienne fut judicieusement utilisée par les Soviétiques lors de la bataille et fut déterminante quant à l'issue de cet affrontement[17].

Prémices de la bataille

Avancée allemande avant Prokhorovka

Après avoir retardé l'opération pour attendre des équipements supplémentaires, l'offensive allemande fut déclenchée le 5 juillet 1943. Le Generaloberst Hermann Hoth et sa 4e Armée de Panzers, avec pour fer de lance le II SS-Panzerkorps avait combattu à travers 20 à 30 km de défenses soviétiques constituées de champs de mines très denses, d'une infanterie solidement retranchée et de nombreux canons antichars disposés dans des zones antitanks élaborées. L'attaque allemande pénétra jusqu'à la 3e ligne de défense soviétique sur une profondeur de 35 kilomètres mais fut stoppée par la 1re Armée blindée soviétique.

Durant les actions du 5-11 juillet, le II SS Panzerkorps se retrouva coincé entre la 1re Armée blindée et la Front de la Steppe contrôlé par Ivan Koniev constituait toujours une réserve pour mener une contre-offensive. Suivant les succès allemands jusqu'au 11 juillet, et contre l'avis de Koniev, Joukov permit à la Stavka de constituer deux armées, la 5e Armée de Chars de la Garde sous le commandement du général Pavel Rotmistrov et la front de la Steppe qui devaient toutes deux se porter à l'encontre de la menace allemande. La 42e Division de Fusiliers de la Garde fut par ailleurs engagée immédiatement. Après plusieurs marches forcées, les forces soviétiques atteignirent Prokhorovka dans la nuit du 11 au 12 juillet 1943[19]. Les fronts soviétiques étaient désormais prêts à lancer leur contre-offensive.

Plans d'offensive allemands

Le plan allemand à Prokhorovka était de poursuivre l'élan offensif du plan de l'opération Citadelle en forçant les défenses soviétiques à s'ouvrir au sud et de faire la liaison avec le front de Koursk plus au nord. L'attaque coïncida avec l'effort du 48e "Panzerkorps" pour traverser la rivière Psel au sud-ouest. La gare de Prokhorovka était le premier objectif tactique à atteindre. La capture de cette gare permettrait en effet à l'armée allemande de réaliser une avancée déterminante avec sa 4e armée de Panzers et aussi de contrôler les voies de communications ferrées dans ce secteur. Par ailleurs, ceci permettrait à la Wehrmacht d'atteindre les bases stratégiques et opérationnelles des arrières soviétiques et ainsi de compléter l'encerclement des forces russes dans et autour de Koursk.

Plans de contre-offensive soviétique

La bataille de Koursk atteignit son point critique (pour les Soviétiques) les 11 et 12 juillet. La pénétration par le II SS Panzerkorps aboutit à la prise de la gare et menaça de ce fait d'encercler la 1re armée de chars soviétique. La gare était située en plein cœur des défenses du front de Voronzeh. Le 11 juillet, Le maréchal Joukov lança une contre-offensive avec cinq armées soviétiques, comprenant deux provenant du front de la Steppe, à l'encontre des armées allemandes. Celle-ci fut réellement menée à partir du 12 juillet[20]. Ces cinq armées, avec la 1re armée de chars sous le commandement de Mikhaïl Katoukov avaient pour but d'attaquer les forces allemandes et mettre fin à l'avancée allemande, en les piégeant puis en les détruisant. L'attaque par la 5e armée de chars de la Garde avait pour cible le II SS-Panzerkorps, pendant que les trois autres armées attaquèrent le 48e Panzerkorps et le 52e corps d'armée allemand.

Le plan d'attaque de la 5e armée de chars de la Garde comprenait plusieurs points faibles, dans le sens où la préparation de l'artillerie fut négligée, où on ordonna aux chefs de chars de déplacer rapidement les blindés pour compenser les carences des engins au niveau du blindage et de l'armement limité, et où l'attaque principale fut menée dans un secteur où les troupes soviétiques avaient creusé plusieurs fossés et qui protégeaient désormais les forces allemandes. De plus, la majeure partie de l'aviation soviétique fut concentrée sur le flanc nord du secteur sud, ce qui laissait ainsi à la Luftwaffe le contrôle total du ciel au-dessus de Prokhorovka. Pour compliquer encore plus les choses, le système de communication soviétique air-sol était loin d'être opérationnel. De fait, l'aviation allemande fit de nombreuses victimes chez les Soviétiques durant les premières heures[21].

La bataille

Le matin de la bataille

L'attaque allemande

Un T-34 soviétique détruit durant la bataille est inspecté par un soldat allemand.

À 6h50, au matin du 12 juillet, le IIe SS Panzerkorps commença son attaque. Au même moment, les soviétiques engageaient eux aussi leurs premiers mouvements offensifs. Les avions des deux camps arrivèrent au-dessus de leurs cibles respectives et une intense bataille aérienne s'engagea alors. Le IIe SS Panzerkorps rapporta une « très forte activité aérienne ennemie[...] à 7h10 »[22]. Pour la première fois depuis le début de la bataille de Koursk, l'Armée de l'Air soviétique menait plus de vols que la Luftwaffe au-dessus du secteur sud. En effet, les 2e et 17e armées de l'air soviétiques accomplirent 893 sorties alors que le VIII. Fliegerkorps en fit 654[23] .

Les unités de la Luftwaffe, sous le commandement de Hans Seidemann, concentrèrent leurs efforts à couvrir l'avancée du IIe SS Panzerkorps. L'attaque par le 48e Panzerkorps située plus au nord fut soutenue par seulement quelques Jagdgeschwader 3 et Jagdgeschwader 52[23]. La bataille aérienne devint centrale pour la réussite des deux belligérants, et plus précisément pour le succès des forces au sol. Sans véritable soutien défensif aérien et face aux assauts aériens répétés de la part des Soviétiques, le 48e Panzerkorps fut contraint d'adopter une attitude défensive. La 11e Division de Panzers fit la remarque suivante: « il y a une certaine activité aérienne allemande mais elle se révèle plus intense chez les soviétiques, incluant des attaques de bombardiers en piqué »[23].

Pour accroître la pression, le 48e Panzerkorps fut attaqué par le 10e Corps de Chars soviétique ainsi que par la1re Armée blindée[23]. Cependant, la Luftwaffe riposta avec des attaques au sol. Les Heinkel He 111 infligèrent de lourdes pertes à la Division "Das Reich" et d'autres divisions quant à elles ne furent pas engagées dans l'attaque et reçurent une mission à caractère défensif jusqu'à ce que la division Totenkopf enregistra un succès.

L'attaque soviétique

Celle-ci débuta à 9h15. Le lieutenant-général Rotmistrov engagea environ 430 chars et canons d'assaut dans une attaque frontale, avec 70 autres blindés soutenant le mouvement dans une deuxième vague d'assaut[24]. L'attaque fut un désastre. La Luftwaffe répondit rapidement aux demandes de soutien aérien formulées par l'armée allemande et de larges formations de Junkers Ju 87 Stukas, de bombardiers Focke-Wulf Fw 190 et des chasseurs de chars Henschel Hs 129 équipés de canons BK 37 de 37 mm Bordkanone apparurent en face des divisions blindées soviétiques. Les chars soviétiques se retrouvèrent piégés[24]. Pilonnée par l'artillerie allemande et le feu des chars allemands, l'offensive soviétique fut défaite. Le champ de bataille fut couvert d'une épaisse fumée provenant des explosions des blindés soviétiques, ce qui réduisit la visibilité pour la suite des opérations militaires, et cela pour les deux camps. Normalement, les canons de 37 mm ne sont pas assez puissants pour détruire un char soviétique. Mais les Soviétiques, s'attendant à une faible résistance dans un premier temps, avaient laissé leurs réservoirs d'essence en métal à l'arrière de leurs chars[24]. La 31e Brigade de Chars soviétique rattachée au 39e Corps de Chars rapporta : « Nous subissons de lourdes pertes dans les chars à travers les tirs de l'artillerie ennemie et des avions. À 10h30, nos blindés atteignirent le sovkhoze de Komsomolets, mais sous le feu d'attaques aériennes continues, les blindés ne purent avancer plus loin et passèrent en mode défensif »[24]. Au total la 5e Armée de Chars de la Garde, le 18e Corps de Chars et le 29e Corps perdirent 400 des 800 blindés qu'ils disposaient au matin de l'attaque[25].

L'une des raisons des échecs soviétiques initiaux réside dans le manque d'un système de communication air-sol efficace[26]. En effet, les unités d'assaut aériennes soviétiques ne purent réagir assez rapidement aux mouvements soudains et inattendus de l'ennemi. De plus, les 2e et 17e Armées de l'Air soviétiques furent concentrées sur le 48e Panzerkorps, donnant ainsi à la Luftwaffe un libre accès aux cibles soviétiques et aux blindages exposés des chars[24]. Le commandant du 31e Corps de Chars soviétiques fit ces observations: « Notre propre couverture aérienne fut totalement absente jusqu'à 13h00 »[26]. Un des membres de la 5e Armée blindée de la Garde raconte : « l'aviation ennemie déferla littéralement sur nos formations durant toute la bataille, pendant que notre propre aviation, et plus particulièrement nos avions de combat, étaient largement insuffisants »[26].

L'après-midi de la bataille

Les réserves de la 5e armée de chars de la Garde furent envoyées quant à elles au sud, pour défendre le secteur contre une attaque allemande du IIIe Panzerkorps. Avec les pertes subies parmi ces réserves, tout espoir de victoire rapide et décisive sur l'ennemi prit fin. Mais les offensives allemandes avaient également échoué. Malgré des pertes énormes, les armées blindés soviétiques tinrent les lignes de défense et empêchèrent le IIe SS Panzerkorps de faire une percée à travers celles-ci. Beaucoup de ces affrontements de chars furent livrés en des combats assez rapprochés et les soviétiques tirèrent la leçon des échecs subis durant la matinée. Les pertes humaines atteignent approximativement 5 500 Soviétiques et 850 SS. Pour ce qui est des pertes matérielles, à savoir le nombre de chars, les estimations restent discutées, mais autour de 300 véhicules blindés soviétiques et 70 à 80 blindés appartenant au IIe SS Panzercorps ont été détruits dans l'offensive allemande[26].

Résultats et conséquences

L'église Pierre et Paul construite en 1995 et dédiée aux soldats de l'Armée rouge morts durant la bataille de Prokhorovka.

Bien que les pertes exactes de chaque camp ne purent être établies précisément, le dénouement de la bataille est plus clair. Ni la 5e armée de chars de la Garde, ni le IIe SS Panzerkorps n'accomplirent leurs missions les 11 et 12 juillet. La 5e de la Garde ne prit pas le contrôle de ses objectifs territoriaux ni ne détruisit le IIe corps de Panzers SS. Toutes les unités d'infanterie furent affaiblies bien qu'elles reprirent le combat dès les jours suivants. La cause soviétique aurait été bien mieux servie si les centaines de chars n'avaient pas été lancées dans une attaque vouée à l'échec, mais utilisées raisonnablement, en les plaçant plutôt en position défensive, retranchés dans de solides défenses pour ainsi user progressivement les attaques allemandes. Koniev contesta longuement cette décision d'engager la 5e armée de chars de la Garde dans une offensive directe à l'encontre de l'ennemi.[réf. nécessaire]

Un autre aspect de cette bataille fut le soudain et violent assaut lancé par les réserves soviétiques et la nécessité de briser l'attaque menée par la 9e armée allemande sur le front nord du saillant de Koursk, assaut s'inscrivant dans l'Opération Koutouzov destinée à mettre un terme aux percées allemandes et reprendre définitivement l'offensive vers l'ouest. Une attaque parallèle de l'Armée rouge contre la nouvelle 6e armée allemande lancée aux abords de la rivière Mious au sud de Kharkov nécessita le repli des forces de réserve tenues d'exploiter chaque succès soviétique sur le front sud de Koursk.Par ailleurs, la victoire soviétique fut facilitée par l'ouverture d'un nouveau front en Sicile qui soulagea le front de l'Est. En effet, à partir du 10 juillet 1943 débuta l'invasion de la Sicile par les troupes anglo-américaines. L'OKW fut donc contraint de déplacer certaines troupes allemandes combattant sur le front de l'Est vers le théâtre d'opérations en Méditerranée.[réf. nécessaire]

Indépendamment du bilan tactique, la bataille de Prokhorovka constitue un tournant décisif dans la suite des opérations sur le front de l'Est. À partir de cette bataille et plus généralement de la bataille de Koursk, l'Armée rouge reprit l'initiative stratégique et l'offensive militaire vers l'Ouest et vers Berlin. Les Allemands avaient tout d'abord pensé qu'ils étaient tout près de remporter la victoire après leurs premières percées dans les lignes de défenses ennemies. Ils ne s'attendaient qu'à quelques canons anti-chars soviétiques, rien de plus[réf. nécessaire]. En réalité, ils tombèrent sur les meilleurs unités de blindés dont disposaient les soviétiques à cette période, notamment les fameux T-34 et leurs modèles améliorés, à savoir les T-34/76 et les T-34/85. À la fin de cette bataille, il est clair que les Soviétiques n'avaient pas été battus par l'armée allemande et cela eut des impacts significatifs sur les décisions prises par l'état major allemand durant la suite de la guerre ainsi que sur le moral des troupes allemandes qui perdirent leur enthousiasme des années précédentes.[réf. nécessaire]

Le clocher situé sur les lieux de la bataille et commémorant la victoire soviétique à Prokhorovka.

Il paraît également indéniable que l'avantage possédé par les Allemands en termes de qualité et de compétence des officiers était dès lors affectée et les Soviétiques désormais sûrs d'eux et confiants en la victoire finale étaient prêts à lancer des offensives de grande envergure et repousser les forces allemandes vers l'Allemagne. À partir de cela, l'initiative stratégique resta entre les mains de l'Armée rouge, et ceci jusqu'à la fin de la guerre.[réf. nécessaire]

Mémoriaux

A Prokhorovka, un grand obélisque (voir photographie ci-contre) rappelle la bataille. Il est souvent le site de cérémonies, auxquelles prennent part de hautes personnalités politiques russes. Le lieu de la bataille est considéré comme un monument dédié à la victoire de l'Armée rouge sur l'Allemagne nazie. En témoigne également le « Diorama », un musée de Belgorod.

Notes et références

  1. Overy, Les pertes allemandes étaient trop importantes pour permettre une percée décisive. Les forces soviétiques continrent, mais réalisèrent elles-mêmes peu de progrès. Quant aux attaques menées sur les flancs par le gros des forces allemandes, elles furent finalement repoussées (German losses were too great to allow a decisive breakthrough. Soviet forces held the German attack, but made little progress themselves. Flanking movements by heavy German forces to the left and right were repulsed), 1997, p.208.
  2. Overy, Le 15 juillet, les deux armées en étaient à leur point de départ. Les divisions SS en étaient réduites à néant. La division Tête de mort qui avait été la plus touchée à Prokhorovka avait dû se retirer du front (By 15 July both sides had ended up where they started. The SS Divisions were devastated. The Death's Head Division which bore the brunt at Prokhorovka was withdrawn from the front), 1997, p. 210.
  3. Glantz & House, Au sud comme au nord les allemands n'étaient plus en capacité de réussir une pénétration opérationnelle significative et se révélaient de ce fait incapables d'encercler et de perturber les arrières-zones ennemies (In the south as in the north the Germans were never able to achieve a significant operational penetration and were, therefore, unable to encircle and disrupt their enemy's rear areas), 1995, p. 166.
  4. Glantz & House, Le Génie et les armes anti-char soviétiques, forces concentrées sur la profondeur, les services de renseignement et la mobilité de leurs nouvelles armées de chars avaient porté à la technique du Blitzkrieg sa pire défaite. C'était la première fois qu'une offensive stratégique allemande de cette ampleur avait été stoppée avant même d'avoir pu percer les lignes défensives de l'ennemi et ainsi exploiter leur avancée à travers ces zones vitales (The Soviet's engineer and anti-tank forces, concentrated forces in depth, superb intelligence, and the mobility of their new tank armies had given the Blitzkrieg its worst defeat. It was the first time a German strategic offensive had been halted before it could breakthrough enemy defences into the strategic depths beyond), 1995, p. 166.
  5. a et b Glantz & House, 1995, p. 166.
  6. Voir aussi : Bataille de Brody (1941).
  7. Overy 1997, p. 210.
  8. Bellamy 2007, p. 556.
  9. Glantz 1991, p. 122.
  10. Glantz 1991, p. 127.
  11. Dunn 1997, p. 154.
  12. a et b Zetterling & Frankson 2000, p. 101.
  13. Zetterling & Frankson 2000, p. 103.
  14. a et b Bergström 2007, p. 120.
  15. Zetterling & Frankson 2000, p. 106.
  16. Zetterling & Frankson 2000, p. 107.
  17. Bergström 2007, p. 78.
  18. a et b Dunn 1997, p. 153.
  19. Glantz 1995, pp. 166-167.
  20. Glantz & House 1995, pp. 166-167.
  21. Bergström 2007, pp. 79-80.
  22. Bergstrom 2007, p. 78.
  23. a, b, c, d et e Bergstrom 2007, p. 79.
  24. a, b, c, d et e Bergstrom 2007, p. 80.
  25. Glantz & House 1995, p. 167.
  26. a, b, c et d Bergstrom 2007, p. 81.

Sources

Ouvrages francophones

  • (fr) Costantini, Colonel A., "La bataille de chars de Prokhorovka, 12 juillet 1943", Revue historique de l'Armée, 1965, n° 4, pp. 105-128.
  • (fr) Lopez, Jean, Koursk. Les quarante jours qui ont ruiné la Wehrmacht (5 juillet - 20 août 1943), Paris, Editions Economica, septembre 2008, 320 pages.
  • (fr) Khazanov, Dmitriy (trad. Jean-Marie Gall), "Koursk, le choc des titans. Les combats aériens", Batailles Aériennes, N° 45, juillet-août-septembre 2008, Lela Presse.
  • (fr) "Prokhorovka & Pince Nord", Batailles & Blindés, Hors-Série N°10, Koursk Tome 2.
  • (fr) Werth, Alexander, La Russie en guerre, Stock, 1965.
  • (fr) Young, Peter, La Deuxième Guerre mondiale, France Loisirs, 1981, p.162-169.

Documentation en anglais

  • (en) Bellamy, Chris, Absolute War; Soviet Russia in the Second World War, Pan Books, 2007.
  • (en) Bergström, Christer, Kursk - The Air Battle: July 1943, Chervron/Ian Allen, 2007.
  • (en) Cross, Robin, Citadel: The Battle of Kursk, Barnes & Noble Edition, 1998.
  • (en) Dunn, Walter, Kursk: Hitler's Gamble, 1943, Greenwood Press Ltd, 1997.
  • (en) Glantz, David M. & House, Jonathon, When Titans Clashed; How the Red Army Stopped Hitler, University of Kansas Press, 1995.
  • (en) Glantz, David M., Soviet Military Operational Art; Pursuit of Deep Battle, Frank Cass, 1991.
  • (en) Healy, Mark, Kursk 1943: Tide Turns in the East, Osprey Publishers, London, 1992.
  • (en) Overy, Richard, Russia's War, Pengiun Books, 1997.
  • (en) Zetterling, Niklas & Franckson, Anders, Kursk 1943: A Statistical Analysis, London: Frank Cass, 2000.

Ouvrage germanophone

  • (de) Töppel, Roman, Die Offensive gegen Kursk 1943, M.A. Thesis, University of Dresden, 2002.

Autres sources

  • (ru) Валерий Замулин. Прохоровка — неизвестное сражение великой войны. М.: АСТ: АСТ МОСКВА: ХРАНИТЕЛЬ, 2006, ISBN 5-17-039548-5 - Description totale des mouvements des troupes soviétiques et allemandes établie à partir de documents d'archives russes et allemands comprenant en outre les statistiques complètes des troupes russes.

Liens externes


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