Théorie ergodique

Théorie ergodique

La théorie ergodique est une branche des mathématiques née de l'étude de l'hypothèse ergodique formulée par le physicien Ludwig Boltzmann en 1871 pour sa théorie cinétique des gaz. Elle a connu de nombreux développements en relation étroite avec la théorie des systèmes dynamiques et la théorie du chaos.

Sommaire

Notations

Dynamique discrète

Article détaillé : Système dynamique mesuré.

L'objet d'étude en théorie ergodique est un triplet ((X,B),μ,Φ) où :

  • (X,B) est un espace mesurable, (c’est-à-dire que B est une tribu sur X)
  • \phi : X \to X une application préservant la mesure μ, c’est-à-dire telle que :
\forall A \in B, \ \mu \left ( \phi^{-1} (A)\right) \ = \ \mu(A)


L'application \phi : X \to X engendre une dynamique discrète : partant d'un point x_0 \in X, on obtient successivement x1 = ϕ(x0), puis x2 = ϕ(x1) = ϕ2(x0), et ainsi de suite.

Dynamique continue

On peut étendre l'étude au cas d'une dynamique continue en remplaçant l'application \phi : X \to X précédente par un flot sur X, c’est-à-dire un groupe continu à un paramètre \phi_t : X \to X tel que :

\phi_0 \ = \ \mathrm{Id}
\forall \ (t,s) \, \in \, \mathbb{R}^2 \, \quad \phi_t \ \circ \phi_s \ = \ \phi_{t+s}

Ce cas est particulièrement important puisqu'il inclut le flot hamiltonien de la mécanique classique, ainsi que le flot géodésique.

Flot ou « cascade » ?

Le cas continu englobe le cas discret, car on peut toujours construire une application discrète à partir d'un flot continu, en posant par exemple ϕ = ϕt = 1 pour l'unité de temps. Poursuivant l'analogie avec le vocabulaire de l'hydrodynamique, l'application discrète est alors parfois baptisée « cascade » par certains mathématiciens.

Définition de l'ergodicité

L'application \varphi : X \rightarrow X est dite ergodique pour une mesure donnée si et seulement si tout ensemble mesurable invariant sous \varphi est de mesure nulle, ou de complémentaire de mesure nulle.


L'ergodicité capture la notion d'irréductibilité en théorie de la mesure : pour toute partition d'un système dynamique ergodique en deux sous-systèmes invariants, l'un des deux est trivial ou négligeable, au sens où il vit sur un ensemble de mesure nulle.

Une application satisfaisant cette propriété était autrefois également dite « métriquement transitive ».

Théorème ergodique de Birkhoff

Moyenne temporelle & moyenne microcanonique

Soit f une « bonne » fonction sur X. On définit sa valeur moyenne temporelle par la limite (si elle existe) :

 \overline{f(x_0)} \ = \ \lim_{n \rightarrow + \infty} \ \frac{1}{n} \ \sum_{k=0}^{n-1} \ f \left( \phi^k (x_0) \right)

Elle dépend a priori de la condition initiale x0. On peut également définir la moyenne spatiale de f, ou moyenne microcanonique, par :

 \langle \ f \ \rangle \ = \ \frac{1}{\mu(X)} \ \int_X f\,d\mu

La moyenne spatiale et la moyenne temporelle n'ont a priori pas de raison d'être égales.

Théorème de Birkhoff (1931)

Lorsque l'application ϕ est ergodique, moyenne spatiale et moyenne temporelle sont égales presque partout. Ce résultat constitue le célèbre théorème ergodique de Birkhoff [1].

Temps de séjour moyen

Soit A \subset X un sous-ensemble mesurable de X. On appelle temps de séjour dans A le temps total passé par le système dynamique dans A au cours de son évolution. Une conséquence du théorème ergodique est que le temps de séjour moyen est égal au rapport de la mesure de A par la mesure de X :

 \lim_{n\rightarrow\infty}\ \frac{1}{n} \ \sum_{k=0}^{n-1}  \ \chi_A\left(\phi^k (x)\right) \ = \ \frac{1}{\mu(X)} \int_X \chi_A \, d\mu \ = \ \frac{\mu(A)}{\mu(X)}

χA est la fonction indicatrice de A.

Récurrences

Théorème de récurrence de Poincaré

Article détaillé : Théorème de récurrence.
  • Récurrence d'un point : Soit A \subset X un sous-ensemble mesurable. Un point x \in A est dit récurrent par rapport à A si et seulement s'il existe une infinité d'entiers k \ge 1 pour lesquels :
\phi^k(x) \ \in \ A
  • Théorème de récurrence de Poincaré : Soit A \subset X un sous-ensemble mesurable de mesure strictement positive. Alors, presque tous les points x_0 \in A sont récurrents par rapport à A.

Temps de récurrence moyen

  • Un instant k tel que ϕk(x) est dans un ensemble mesurable A est appelé instant d'occurrence de A. Ces instants d'occurrence peuvent être classés par ordre croissant dans un ensemble dénombrable :  \{ k_0, k_1, \dots, k_i, \dots \} avec ki + 1 > ki.


  • Les différences positives ri = kiki − 1 entre deux instants d'occurrence consécutifs sont appelés les durée de récurrence de A.


Une conséquence du théorème ergodique est que la durée moyenne de récurrence de A est inversement proportionnelle à la mesure de A , sous l'hypothèse que la condition initiale x appartient à A, de telle sorte que k0 = 0.

\lim_{n \to + \infty} \ \frac{1}{n} \ \sum_{i=1}^n r_i \ = \ \frac{1}{\mu(A)} 
 \quad\mbox{(presque partout)}

Ainsi, plus l'ensemble A est « petit » et plus il faut attendre longtemps en moyenne avant d'y retourner. Malheureusement, ce résultat ne nous renseigne pas sur l'écart-type de la distribution des temps de récurrence. Par exemple, pour le modèle des urnes d'Ehrenfest, Kac a pu démontrer[2] que cet écart-type tendait vers l'infini lorsque le nombre de boules du modèle tendait vers l'infini, de telle sorte que des fluctuations importantes autour de la durée moyenne de récurrence devenaient de moins en moins improbables.

Hiérarchie ergodique

Système mélangeant

On dit que le système (\Omega,\mathcal{F},\mu,T) est mélangeant si quels que soient les événements (ensembles) A et B dans \mathcal{F}, la corrélation

\mu(A\cap T^{-n}(B))-\mu(A)\mu(B) tend vers 0 lorsque n tend vers l'infini.

Hyperbolicité et système d'Anosov

Article détaillé : Système d'Anosov.

Système de Bernoulli

La hiérarchie ergodique

Exemple : le flot ergodique sur une variété

  • La relation entre le flot géodésique et les sous-groupes à un paramètre de SL2(R) a été établie par Fomin et Gelfand[4] en 1952.
  • Beaucoup des théorèmes et résultats de ce domaine d'étude sont typiques de la théorie de la rigidité
  • Les flots d'Anosov constituent un exemple de flots ergodiques sur SL2(R) et, plus généralement, sur une surface de Riemann à courbure négative. La plupart des développements à ce sujet se généralisent à des variétés hyperboliques à courbure négative constante, celles-ci pouvant être vues comme l'espace quotient d'un espace hyperbolique simplement connexe par un groupe discret de SO(n,1).

Théorie ergodique & mécanique statistique

En dépit de progrès importants réalisés en théorie ergodique depuis la formulation par Boltzmann de l'hypothèse ergodique, son utilisation pour justifier l'utilisation de l'ensemble microcanonique en mécanique statistique reste à ce jour controversée[7].

Problèmes ouverts

Le mathématicien Sergiy Kolyada maintient une liste de problèmes ouverts en théorie ergodique sur son site web.

Articles liés

Bibliographie

Aspects historiques

  • M. Mathieu ; On the origin of the notion "Ergodic Theory", Expositiones Mathematicae 6 (1988) 373.
  • Giovanni Gallavotti ; Ergodicity, ensembles, irreversibility in Boltzmann and beyond, (1994). Texte complet disponible sur l'ArXiv : chao-dyn/9403004.

Ouvrages modernes

  • Vladimir I. Arnold & André Avez ; Ergodic Problems of Classical Mechanics, Advanced Book Classics, Pearson Addison Wesley (Mai 1989), ASIN 0201094061.
  • Ya G. Sinaï ; Introduction to Ergodic Theory, Princeton University Press (1976), ISBN
  • I.P. Cornfeld, S.V. Fomin & Y.G. Sinai ; Ergodic Theory, # Springer-Verlag (1982), ISBN 3-540-90580-4.
  • Karl Petersen ; Ergodic Theory, Cambridge Studies in Advanced Mathematics, Cambrides University Press (1983), ISBN 0-521-38997-6.
  • Yakov Pesin & Luis Barreira ; Lyapunov Exponents and Smooth Ergodic Theory, University Lecture Series 23, American Mathematical Society, Providence (2001), ISBN 0-8218-2921-1.
  • Tim Bedford, Michael Keane & Caroline Series (eds.) ; Ergodic theory, symbolic dynamics and hyperbolic spaces, Oxford University Press (1991), ISBN 0-19-853390-X.
  • Jean Moulin Ollagnier ; Ergodic Theory and Statistical Mechanics, Lecture Notes in Mathematics 1115, Springer-Verlag (1985).
  • Henk van Beijeren ; On some common misconceptions regarding the "Ergodic Hierarchy", (2004). Texte complet disponible sur l'ArXiv : cond-mat/0407730.

Articles originaux

  • Eberhard Hopf ; Ergodic theory & the geodesic flow on a surface of constant negative curvature, Bulletin of the American Mathematical Society 77(6) (1971) 863.
  • Eberhard Hopf ; Differential geometry in the large - 1956 lectures notes, Lectures Notes in Mathematics 1000, Springer-Verlag (1983).
  • G.A. Margulis ; Application of ergodic theory to the investigation of manifold of negative curvature, Functionnal Analysis & Applications 3 (1969) 355.
  • Y. Pesin ; Characteristic Lyapounov exponents & smooth ergodic theory, Russian Mathematical Surveys 32(4) (1982) 54.
  • Y. Pesin ; Geodesic flows with hyperbolic behaviour of the trajectories & objects connected with them, Russian Mathematical Surveys 36 (1981) 1.

Bibliothèque virtuelle

  • Joël Lebowitz & Oliver Penrose ; Modern Ergodic Theory, Physics Today, 26 (February 1973), 155-175. pdf.
  • David Ruelle ; Ergodic theory of differentiable dynamical systems, Publ. Math. IHES 50 (1979), 27-58. Texte complet disponible au format pdf.
  • Mark Pollicott ; Lectures on ergodic theory, geodesic flows and related topics, Ulm (2003). Notes de cours non corrigées au format pdf.
  • Charles Pugh & Michael Shub (appendix by Alexander Starkov) ; Stable ergodicity, Bulletin of the American Mathematical Society 41 (2004), 1-41. Texte disponible en ligne.

Notes

  1. George D. Birkhoff ; Proof of the ergodic theorem, Proceedings of the National Academy of Sciences USA 17 (1931) 656-660.
  2. Mark Kac ; Probability and related topics in physical science, Lectures in Applied Mathematics Series, Vol 1a, American Mathematical Society (1957), ISBN 0-8218-0047-7.
  3. Eberhard Hopf ; Statistik der geodätischen Linien in Mannigfaltigkeiten negativer Krümmung, Leipzig Ber. Verhandl. Sächs. Akad. Wiss. 91 (1939) 261-304.
  4. Sergei V. Fomin & Israel M. Gelfand ; Geodesic flows on manifolds of constant negative curvature, Uspehi Mat. Nauk 7 no. 1. (1952) 118-137.
  5. F. I. Mautner ; Geodesic flows on symmetric Riemann spaces, Annals of Mathematics 65 (1957) 416-431.
  6. C. C. Moore ; Ergodicity of flows on homogeneous spaces, American Journal of Mathematics 88 (1966) 154-178.
  7. Lire par exemple les articles de revue en physique théorique :
    • George W. Mackey ; Ergodic Theory and its Significance for Statistical Mechanics and Probability Theory, Advances in Mathematics 12(2) (1974), 178-268.
    • Oliver Penrose ; Foundations of Statistical Mechanics, Report on Progress in Physics 42 (1979), 1937-2006.
    • Domokos Szasz ; Botzmann's ergodic hypothesis, a conjecture for centuries ?, Studia Scientiarium Mathematicarum Hungarica (Budapest) 31 (1996) 299-322. Texte au format Postscript.
    ainsi que les essais philosophiques :
    • Massimiliano Badino ; The Foundational Role of Ergodic Theory, (2005). Texte au format Word.
    • Jos Uffink ; Compendium of the foundations of classical statistical physics,(2006). Texte au format pdf.

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