Saint Bodon

Saint Bodon

Leudinus Bodo

Saint Bodon ou saint Leudin est un personnage légendaire du septième siècle à l'origine de la fondation du ban ou de la grande paroisse d'Etival dans les Vosges. Il était honoré le 11 septembre.

Il correspond vraisemblablement à un personnage historique, Leudinus Bodo, francisé en Leudin Bodon ou Bodon Leudin qui appartient à une des grandes familles leudes. Au VIIe siècle, cette famille est influente au sud de l'Austrasie, en particulier aux confins de la Burgondie[1] ou en Alsatia[2]naissante. Les prénoms redondants, d’abord masculins Leuduinis ou Leudwin, Gunduinus ou Gundwin, ou féminins Salaberge, Theutberge signalent ses membres à l'historien médiéviste.

La famille Bodon a-t-elle exercé auparavant des responsabilités comtales dans le vaste pays du Chaumontois, le fameux pagus calvomontensis ? Bénéficie-t-elle alors de la faveur du puissant maire du palais Grimoald ? Probablement.

Leudinus Bodo a-t-il fondé un vrai monastère à Etival ou un petit moutier éphémère pour garder par la prière le lieu d'assemblée ? Les anciens Prémontrés d'Etival suggèrent dans la pierre que la vraie vie monacale commence avec l'installation de premiers chanoines réguliers par l'impératrice Richarde ou les chanoinesses d'Andlau après 886.

Sommaire

Personnage de la tradition religieuse

Une tradition historiographique accorde à saint Bodon un important domaine dans la contrée de Badonviller, sous une forme latinisée Bodonis villare, et surtout la participation à des fondations religieuses qui lui ont valu une vénération locale. Présenté en évêque de Toul, il serait à l’origine d’une donation importante, ayant permis la fondation du ban d’Etival avec son premier monastère entre 640 et 660. Il est aussi le fondateur d'un monastère de femmes à la demande de sa fille Theutberge, Bodonis monasterium, devenu Bonmoutier (sur la commune de Val-et-Châtillon). Ce monastère féminin a disparu, puis a été repris par des hommes et s'est déplacé sur une colline voisine, devenant l'abbaye de Saint-Sauveur.

Leudinus Bodo est le frère de sainte Salaberge, honorée le 26 septembre. Cette dernière aurait eu une fille, Anstrude, avant d'entrer en religion et de mourir avec une auréole de sainteté vers 655.

Fondateur légendaire de la paroisse d'Etival

Si Leudin Bodon est le patron de ban d'Etival après 660, il semble qu'il donne moins de sa personne que le pieux Romaric, fondateur au sixième siècle du ban religieux de Remiremont.

Au début du septième siècle, une pléiade de moutiers est animée par une multitude de moines au services des acteurs politiques et surtout de l'aristocratie[3]. Ils participent à la vie simple des populations montagnardes et, tout en travaillant, ont déjà contribué à l'avancée notable de l'évangélisation.

Cette austère vie attire d'illustres représentants religieux. Ainsi, Arnoul, évêque de Metz, accorde grand intérêt à cette évangélisation dans la haute vallée de la Moselle. La légende affirme qu'il se retire dans les Vosges et y meurt en 640. La tradition l'a transformé en jovial saint Arnoux ou Arnould, auteur du miracle de la bière. Goëry, compagnon d'Arnoul, ramène sa dépouille à Metz. Ce dernier vénéré saint Goëry serait le fondateur légendaire d'un moutier pour ses filles à Epinal et ainsi à l'origine de la paroisse d'Epinal. Ces rapports légendaires ne signalent-t-ils pas l'apogée vers 640 des moutiers[4] qu'ils soient de rite irlandais ou d'un christianisme franc repensé à l'aune des vieux rituels, s'attirant le respect et même la tolérante sympathie de hautes autorités religieuses alors que les rites et le calendrier liturgique chrétien, permettant la fixation des importantes cérémonies pascales, peuvent différer sensiblement.

Les sculptures représentent Leudin Bodon avec le chapeau, la mitre et la crosse d'un évêque. Les chrétiens ont pu en adoptant ce protecteur du ban d'Etival le transformer d'autorité en chef religieux ou papa[5]. Il est néanmoins probable que Leudin Bodon soit attaché au rite orthodoxe, donnant accès pour sa famille à l'autorité épiscopale ou au gouvernement des hommes qu'elle exerce en Austrasie. La tradition l'assimile peut-être avec un autre membre de la famille, l'évêque Bodon qui accomplit un long épiscopat de la fin du septième siècle au début du huitième siècle.

Le premier ban d'Etival découpé en quatre ?

La situation de Stivagium ou Stivalium, à l'origine d'Etival est remarquable. Installée sur un monticule artificiel, à un point bas au méridien de la vallée de la Meurthe, la minuscule bourgade que soupçonne au septième siècle l'archéologue est proche d'une ancienne voie romaine, via salinatorum devenu l'active voie des Saulniers. La Meurthe s'étale en îles, avant de s'engouffrer vers un défilé qu'évite avec prudence la voie romaine en gagnant par un pont la rive sud, aux abords de la prairie d'Etival. La Meurthe coule ensuite vers Deneuvre/Baccarat et y quitte au milieu d'une forêt alluviale le territoire des Leuques que perpétue le diocèse de Toul crée en Belgique première.

Proposons un modèle pour la formation des premiers bans religieux de la haute vallée de la Meurthe.

La fondation d'un grand ban rassemblant toutes les vallées en amont du lieu, selon une géographie romaine classique, peut advenir pour des intérêt de contrôle et de stratégie. Leudwin et son proche parent Gundwin, qui exerce dès 640 la première charge ducale en Alsace ont esquissé ce grand ban chrétien qui a l'avantage de comprendre le parcours de la voie marchande. Ces gestionnaires du fisc royal accordent généreusement exemptions ou immunités fiscales pour favoriser cette assemblée.

Pourtant, au terme des première décennies d'existence, le grand ban d'Etival se scinde en plusieurs entités. Une longue brouille entre les responsables de l'assemblée nommée ecclesia ou église au sens chrétien conduit à la formation vers 660-670 de bans dissidents, menée par des représentants politiques et religieux dont l'historiographie la plus sommaire a gardé deux noms Gundelbert (saint Gondelbert) à Senones et Déodat (saint Dié). Spin ou Spinule émancipe aussi une assemblée à Saint-Blaise en ban, bien avant l'installation de l'abbaye bénédictine à Moyenmoutier. Les historiens ne savent si Norpardus, fondateur de Nompatelize et donc du Haut-Ban d'Etival, est contemporain. Dans ce cas, avec d'autres acteurs dont nous ignorons le nom, tous ces personnages se sont opposé à la première administration et ont en partie obtenue des reconnaissances.

Les montagnards vosgiens préservant l'étonnante histoire orale de Gondelbert montrent qu'il est pourchassé. Comme il apparaît en représentant des marchands, il semble être le chef de la révolte pour instaurer des bans ou communautés libres non assujettis à l'aristocrate Leudin Bodo. Déodat, représentant d'une présence guerrière, Spin, patron des rouliers sont des alliés politiques de circonstances. D'abord intangible et violent, Bodon et ses partisans ont cédé à la farouche résistance. Leudin Bodo est un personnage public. Ne veut-il pas trop se compromettre dans des guerres et persécutions cruelles ? Ou bien prévoyant des revers, préfère-t-il transiger en gardant un ascendant et préserver ses positions ? Nous n'avons aucune idée de cette transaction diplomatique, mais Leudin Bodo a gardé un minimum de capital de sympathie au point d'être sanctifié localement à Etival. Les montagnards vosgiens désignaient la contrée de Badonvillers il y a plus d'un siècle en disant le pays des gros rois fainéants[6].

Par l'évocation de ses personnages légendaires ayant exercé des fonctions au sein d'une première assemblée chrétienne reconnue, s'esquisse la difficile et si controversée formation des bans primitifs et de leurs églises mères dans la montagne vosgienne au septième siècle. Les abbayes monastiques, fondations religieuses bien plus tardives, ont participé à cette querelle assimilant la création des grandes paroisses du treizième siècle à leur légitimation de préséance, de prestige et d'immunités.


Pour aller plus loin dans la recherche

Le monde religieux mérovingien est d'abord dans la continuité un christianisme du Bas-Empire. Mais il subit, à l'instar de la société de profondes modifications au septième siècle, et entre 690 et 710, tous les acquis politique et chrétien, en particulier de politique sacrée, sont remis en question. Le christianisme de rite irlandais et surtout son monachisme pérégrin et les pèlerins fidèles revenant de la verte Erin a réveillé le premier christianisme gallo-romain de sa torpeur. Les familles franques ont fondé leurs institutions, s'émancipant progressivement de la tutelle de l'évêque. Nous pourrions développer l'exemple Arnoul, évêque de Metz ou encore son légendaire compagnon saint Goëry.

Notons qu'il ne faut pas faire dériver de saint Colomban et des trois sanctuaires près de Luxeuil la source exclusive du renouveau du christianisme populaire et monachique en pays mérovingien. Le christianisme primitif est fortement ancré en Belgiques première et seconde quand Clovis, petit roi franc en quête de soutien et d'appui, choisit d'accorder les pratiques de son clan avec les pratiques populaires du petit peuple chrétien.

La contrée irlandaise, devenue île référence du sacré, a joué un rôle de révélateur des croyances héritées des premiers chrétiens. Pratiques et croyances austrasiennes sont étonnamment libres et variées, marque fondamentale de l'attitude judéo-chrétienne, et, beaucoup plus souvent qu'on ne croît d'origine locale ou pleinement réceptive au plus vieux fond religieux de l'humanité, perpétuant l'héritage des hiérophanies des lieux.

Grimoald, maire du palais a favorisé l'emprise en Austrasie méridionale de Leudin Bodon et de sa femme. Cette famille participe à l'histoire et et à la fondation légendaire de Gondrecourt et de Badonviller, qui devient plus tard la capitale estivale des comtes de Salm, avoué de l'abbaye de Senones.

Il semble qu'Etival à l'origine ne s'éloigne pas beaucoup de l'évêché de Toul, mais en réalité c'est la famille de Leudin Bodon, qui garde la haute main sur le ban d'Etival beaucoup plus étendu vers l'ouest qu'on ne le croit souvent, incluant Nossoncourt, et surtout pas l'évêque s'il est issu d'une famille rivale ou éloignée[7].

Pour une présentation synoptique des fondateurs ou des protecteurs des bans vosgiens de val de Meurthe, conforme à la recherche actuelle : Gondelbert de Senones, saint Dié, Spin ou Spinule, Leudin Bodon, Richarde de Souabe


Notes et références

  1. Bourgogne mérovingienne
  2. L'Alsace ou Elsass, réunissant deux territoires de part et d'autre du Landgraben, est née avec le duché d'Alsace
  3. Dans la montagne vosgienne, l'assimilation et l'échange entre les multiples pratiques chrétiennes sont d'abord bonne enfant. Mais la rivalité politique entre Pepinides et Etichonides a entrainé un durcissement des sanctions et exclusions. Le monde religieux n'a pas proclamé de schisme, mais la dévastation des sanctuaires semble brève et terrible et la méfiance d'une religiosité paysanne de perdurer plusieurs siècles avant l'arrivée des moines blancs
  4. Ce sont de petits monastères dispersés dans des lieux sacrés et non pas des abbayes.
  5. Abbé ou père d'un ban rassemblant des vieux chrétiens de rite irlandais, voilà une singulière parenté avec le pape
  6. Lo groüs bodon, c'est le gros ventre. C'est aussi un qualificatif des bourgeois en quête de grand pouvoir politique au début du siècle dernier.
  7. Aucun historien attentif ne confond la territoire de ban en 660 et la future grande paroisse après 1250. De multiples segmentations, recompositions et interventions royales et impériales sont intervenues.

Sources

BOUDET Paul, Le chapitre de Saint Dié en Lorraine, des origines au seizième siècle, Archives des Vosges, édition Société d’émulation des Vosges, 280 pages.

Chanoine LEVEQUE L., Petite histoire religieuse de nos Vosges, Imprimerie Géhin, Mirecourt, 1947, 200 pages.


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