Roger van Rogger

Roger van Rogger

Roger Silberfeld, qui prend très tôt le nom de Roger Van Rogger, est un peintre et poète flamand né à Anvers en 1914 et mort à Bandol (Var) en mai 1983.

Sa vie, marquée par un succès fulgurant suivi d'une misère salvatrice, se déroule hors du monde de l'art, dans celui de la fatigue de ceux qui travaillent. « Je suis si fatigué que je ne peux même pas concevoir la peinture. Je ne suis plus un peintre. Comme c'est agréable de ne pas être obligé de, sans cesse, tout ramener à la création ! Je suis un homme ordinaire. Ah ! que la vie est simple, que la vie est facile ! Cela ne m'est jamais arrivé ! » confiait-il à son épouse quelques jours avant de mourir.

Sommaire

Biographie

Enfance

Né dans une famille juive d'origine polonaise, Roger Silberfeld est orphelin de mère à l'âge de trois ans. Dès ses sept ans il fréquente les églises et les musées anversois et belges, admirant les grands maîtres flamands de toutes époques, notamment Jan van Eyck, Rogier van der Weyden, Gérard David, Rubens... Très tôt, sa vocation de peintre est formée. Il fréquente l'atelier de James Ensor et, dès 1927, présente sa première exposition à Gand.

C'est pourtant vers la poésie qu'il se tourne d'abord : à quatorze ans, il fait partie du cercle poétique dirigé par Marie Gevers, et publie une première plaquette de poésie, La Vache creuse (1929). Il lit Jack London (Martin Eden) comme la revue dadaïste Ça ira, et découvre Marcel Proust, Joseph Conrad et Herman Melville. Lors de ses dix-huit ans, sa famille refusant de le laisser étudier la peinture, il la quitte pour ne plus jamais la revoir. Il s'installe en France, dans le Nord.

La Guerre

Il est arrêté en Belgique le 10 mai 1940, sans raison apparente, sinon peut-être ses origines juives, bien qu'il ait déjà changé son nom en prenant le patronyme flamand[1] de Roger Van Rogger[2]. Enfermé au camp de Saint-Cyprien, dans les Pyrénées-Orientales, il ne tarde pas à sympathiser avec ses geôliers pour mieux s'évader quelques jours, peut-être quelques mois après son arrivée.

Grand admirateur de Jean Giono à l'époque, il part le rencontrer dans les Basses-Alpes. Giono l'emploie alors quelque temps comme métayer dans sa ferme du Criquet. À cette époque, Van Rogger est accompagné d'une femme, Julya, avec qui il partage sa vie quelque temps. Les relations entre lui et Giono se détériorent assez vite[3]. Finalement, pour une histoire de cochon promis que Giono ne voulut pas lui donner, et par peur d'une dénonciation aux autorités de la part de l'écrivain, Van Rogger quitte Giono et s'engage dans la Résistance.

Il fait alors la connaissance de René Char avec qui il se lie d'amitié. Sa peinture à cette époque est figurative, assez proche des cubistes, tout en étant marquée par l'influence flamande. Finalement, recherché, il est contraint de s'exiler. En 1943, il passe au Pays basque[4] et part enfin pour le Brésil.

L'exil

Van Rogger reste sept ans au Brésil. « En partant de zéro on peut rester en deçà de la vérité du jour, on peut répéter des vérités que tout le monde sait, mais on peut aussi refaire sa véritable éducation humaine. Il n'est pas facile de faire de l'art au Brésil », écrit-il à l'époque, dans une brochure explicative qui lui fut demandée pour une exposition. Car Van Rogger expose en Amérique du Sud.

Il décrit alors le choix qui se pose à lui : « L'artiste est […] amené à choisir entre deux attitudes : “grosso modo” la spirituelle et la temporelle. La spirituelle en fait un solitaire, un révolté volontaire ou involontaire, un attardé ou un Savonarole. Cela consiste à maintenir une tradition, à fuir certaines caractéristiques familiales de notre époque, à être qualifié de vague prophète ou de réactionnaire ou d'inutile. L'autre attitude consiste à vouloir rénover complètement toutes les données, les bases mêmes de l'art, sa structure historique, lui donnant la même fonction qu'une machine-outil et la même durée limitée. Cela consiste à donner à l'art non l'esthétique de notre temps — ce qui serait normal — mais sa morale d'opportunisme ».

De fait la seconde voie semble s'offrir à lui, puisqu'on le sollicite beaucoup. Il expose notamment à New York, aux côtés de Picasso, Jackson Pollock, etc. Le Museum of Modern Art de New York lui achète même une Descente de Croix. Il rencontre à cette époque les peintres Kaminagai, Vieira da Silva, Arpad Szenes, Wilhelm Wœller ou encore le sculpteur Augusto Zamoisky. Mais sa vie quotidienne à Rio de Janeiro est matériellement difficile. La guerre finie, il veut rentrer en Europe. En 1950, il regagne la France, quittant sa compagne Julya qui reste au Brésil.

Vallongues

À son retour en France, Van Rogger retrouve René Char. Celui-ci l'invite dans sa résidence de L'Isle-sur-la-Sorgue, et ils y constatent leurs affinités de poètes. Il tente au même moment de percer à Paris, s'installe dans un atelier. Là, il rencontre Catherine Savard, une jeune étudiante à Sciences Politiques qui deviendra sa femme[5] après avoir tout quitté pour le suivre.

Van Rogger et Char se brouillent irrémédiablement. Catherine enceinte, il devient impératif pour le peintre de trouver un logement, même précaire. Finalement, ils acquièrent un terrain et une petite maison, sur la colline de Vallongues, à Bandol (Var), pour très peu d'argent.

C'est à cette période que Van Rogger se tourne définitivement vers « l'attitude spirituelle » qu'il décrivait quelques années plus tôt. Volontairement et involontairement « ascète »[6], il se tourne vers l'art abstrait, et donne corps à une prolixe production de poète. Loin du monde, le couple survit difficilement. Mais le peintre est peintre avant tout, et il passe ses journées à l'atelier. Une admiratrice et amie américaine lui achète régulièrement des toiles, pour leur éviter de sombrer dans la plus noire misère.

Van Rogger, finalement, ne pense même plus à exposer ; il compose des toiles immenses, impropres à l'exposition dans un musée. Il orne Vallongues de sculptures énormes, en fait un territoire à part, imprégné de son œuvre. « Je est un autre : le je des autres, est pour les autres, est un autre et non pas le contraire le seul vrai je ne s'appelle pas je »[7].

Le peintre meurt en mai 1983, laissant derrière lui des milliers de toiles et de gouaches, des centaines de dessins, des centaines de poèmes.

Peu de temps après sa mort Catherine, son épouse, crée la Fondation Van Rogger, qui expose les œuvres à Bandol. Quelques artistes seront invités à y exposer, notamment Pierre Ancibure, Éric Garnier, Vincent Rivière, Philippe Blanchon et Patrick Garnier. La fondation sera éditrice des Cahiers de la Fondation Van Rogger (Bœuf écorché) et les Éditions de Vallongues publieront outres des écrits de Van Rogger, la revue Méthode! et des textes de János Pilinszky, Paul Celan, etc.

De nombreuses expositions de Roger Van Rogger, dans toute la France et à l'étranger, vont alors se succéder.

Citations

  • « Veuillez m'excuser de disparaître, je vous prie, cher public, mais en cherchant trace de mon existence je n'en ai trouvé nulle. »
  • « D'ailleurs si je n'existe plus, ai-je jamais existé ? Mystère ! D'autant mieux que les progrès de mon absence sont tels qu'il ne faut pas trop y compter ! De plus, je n'ai pas la souplesse nécessaire à m'insérer dans le monde artistique. Une vraie vie de peintre quoi ! »
  • « C'est triste quand je pense au confort et à tous ces étages. »
  • « Et qu'elle est lourde ma liberté de na pas être ! »
  • « Quelle légèreté doit avoir la pesanteur d'une personnalité bien opaque. »
  • « Que de problèmes pose le transport permanent d'une vitre ! »
  • « Pas d'état civil pour une ombre ! »
  • « Alors pour l'ombre d'une vitre qui n'est délimitée que par l'incompréhension ? »
  • « Ah! si je ne m'était pas, depuis si longtemps, exercé à disparaître devant les majestés de la Création j'aurais un rang, une place, un poste, quelque chose et je pourrais vous en parler. »
  • « Hélas ! Le temps s'est écoulé à travers moi, comme un fleuve puissant qui débouche dans une mer assoiffée. Maintenant vos paroles traversent ma transparence et se plantent derrière moi, dans le soir qui tombe tendrement. »
  • « J'aime mon travail avant tout et je reviendrai, quand tout sera éteint… » (VAN ROGGER, 1969.)

Références

Notes

  1. la langue qu'il aimait à parler avec les domestiques de ses parents
  2. Roger fils de Roger : « Aussi à 18 ans, décidai-je d'être ma propre Sorbonne, ma propre race et mes propres ancêtres » a-t-il dit plus tard.
  3. comme en témoigne un passage du livre de Pierre Magnan : Pour saluer Giono, où Van Rogger est dépeint comme un rustre toujours emporté contre son employeur
  4. en reconnaissance, il enverra une gouache lors de la grâce de militants d'ETA en 1973, et qui se trouve toujours à Bayonne, au musée Bonnat
  5. il l'épouse à Copenhague en 1952
  6. les galeries parisiennes le boudent, malgré les efforts phénoménaux qu'il déploie avec son épouse
  7. Lettres à une amie chère, Éditions de Vallongues, p. 97



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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Roger van Rogger de Wikipédia en français (auteurs)

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