Raschid-Eddin

Raschid-Eddin

Rashid al-Din

Rashid al-Din (1247-1318) est un homme d’état persan de la période il-khanide. Il fut également historien, et composa à ce titre le Jami al-tawarikh, ou histoire universelle.

Sommaire

L’homme politique

Rashid al-din Fadl Allah ibn ‘Imad al-dawla abu l-Khayr naquit à Hamadan, un centre important de culture juive (site d’un collège rabbinique), en 1247, alors que le pouvoir il-khanide se mettait en place.

Fils d’un pharmacien juif, il poursuivit des études de médecine et entra à ce titre à la cour de Abaqa (r. 1265-1282). C'est peut-être à cette occasion qu'il se convertit à l'islam, bien que son éducation juive restât toute sa vie un handicap majeur. Après la mort de son maître, il entra au service de Gaykhatu (r. 1291-1295), son rôle consistant tout d'abord à préparer, présenter et tester la nourriture du sultan. Grimpant rapidement les échelons de la bureaucratie impériale il se vit en 1298 nommé par Ghazan adjoint du vizir Sa’d al-Din Zanjani, mais celui-ci fut exécuté à l'automne suivant. Ce qui aurait pu donner un coup d'arrêt à sa carrière propulsa en fait Rashid al-Din sur le devant de la scène politique : il se trouva tout à coup nommé vizir associé de Sa’d al-din Sawaji.

Mais, jamais au cours de sa carrière, Rashid al-Din n'exerça seul le pouvoir ; il eut toujours un adjoint. C'est pourquoi, malgré son pouvoir et son influence, sa position demeura constamment précaire.

Lorsque Ghazan arrive au pouvoir en 1294, le pays se trouve quasiment en état de guerre civile. Rashid al-Din mit au point de grandes réformes, concernant aussi bien l'administration publique que l'agriculture ou encore le commerce, cherchant constamment à protéger les iraniens sédentaires de la rapacité de l’aristocratie mongole. En rédigeant un vaste code de lois, il réaménagea les finances par un nouveau réglage des revenus et dépenses et un nouveau calcul de l’impôt, et réorganisa les provinces et leur administration. Il mit également en place la Charia (loi islamique), et s'occupa à la fois de l'entretien des routes publiques, de l'organisation de la poste, de lois sociales pour les personnes âgées, les infirmes, les pauvres et même du soin des animaux.

En 1302-1303, il accompagna Ghazan dans sa campagne contre les Mamelouks, dirigeant notamment l’attaque de la ville d’al-Rahba.

A la mort de Ghazan en 1304, Rashid al-Din poursuivit son travail sous son successeur, Oldjaïtou. Très en faveur, il parvint à placer un grand nombre de ses enfants à des postes importants. Mais, en 1312, son associé Sa’d al-din Sawaji fut exécuté et remplacé par Taj al-Din ‘Ali shah, un ancien bijoutier, qui devint son rival acharné. L'inimitié entre les deux hommes était si forte qu'Oldjaïtu fut contraint de scinder en deux le pouvoir : à Rashid al-Din revint l'administration du centre et du sud de l’empire, tandis que Taj al-Din s'occupait du nord-ouest, de la Mésopotamie et de l'Anatolie.

Les intrigues se multiplièrent, tant et si bien qu'en 1316, à l’accession au trône d’Abu Said, Rashid fut révoqué sous l’influence de Taj al-Din, puis accusé d’avoir empoisonné Oldjaïtou et exécuté le 17 juillet 1318[1] avec un de ses fils, tandis que son quartier du Rab-i Rashidi était détruit.

Les règnes de Ghazan (1294-1304), Oldjaïtou (1304-1316) et Abu Said (1316-1335) marquent l'apogée de la dynastie il-khanide. La sédentarisation permit une économie prospère, une vie culturelle florissante, une grande innovation artistique. Les Mongols adoptèrent la culture et les traditions persanes, un commerce international se développa entre Europe et Orient à partir des entrepôts de Tabriz et Sultaniya. Pour la première fois depuis plusieurs siècles, l'Iran devint une entité politique et culturelle. Rashid al-Din participa activement à cet apogée, même si sa position resta constamment précaire, comme pour tous les ministres il-khanides. Cet homme à l'immense richesse, propriétaire de grandes propriétés à travers le royaume fut également l'ordonnateur de la construction de la nouvelle capitale d’Oldjaïtou, Sultaniya, et de nombreux bâtiments commerciaux. S'intéressant tout à la fois à l'Histoire, l'administration, la théologie et l'agriculture, ce curieux insatiable fit venir des savants, des artisans et des artistes des quatre coins du monde et collectionna livres chinois, byzantins, occidentaux et caucasiens.

Un de ses fils, Ghiyat al-Din, prit plus tard les fonctions de vizir.

Le mécène

La période il-khanide marque un changement majeur dans la culture iranienne, qui se traduit par une nouvelle forme de patronage artistique. Deux formes de mécénat sont prééminentes à cette époque : les complexes funéraires et les manuscrits illustrés. Rashid al-Din constitue le modèle idéal de mécène, car le patronage sultanien suit la plupart de ses idées et emploie les mêmes artistes que lui.

Patronage architectural

Un trait nouveau de la période mongole se dessine dans la concentration d’édifices publics dans des quartiers de construction récente. Rashid al-Din établit ainsi de grands quartiers à Tabriz et Sultaniya, ce qui ne l'empêche pas de concevoir des fondations pieuses à Hamadan et Yazd, et de surveiller celles fondées à Tabriz et Baghdad par Ghazan. Il s'agit alors de grands complexes à plusieurs parties incluant lieux de prière, d’éducation et de résidence et utilisant de nombreux employés.

Le Rab-i Rashidi

Tabriz, la capitale, est considérablement agrandie et embellie sous les il-khanides, notamment par le sultan lui-même : Ghazan triple la zone urbaine, avec la construction du faubourg Sham-i Ghazan, autour de son mausolée. Rashid al-Din, quant à lui, y fait édifier le Rab-i Rashidi, un quartier construit intramuros dans le faubourg oriental, autour de son propre monument funéraire. L'acte de waqf, conservé, donne la date du 9 août 1309.

Le quartier, ceinturé de remparts, comprend une grande zone d’entrée, une mosquée du Vendredi avec le tombeau de Rashid, une autre mosquée (peut-être s'agit -il d'une dualité mosquée d'hiver/mosquée d'été ?), des madrasa, un lieu pour les sufis (khanqah), un hôpital, un hospice pour les visiteurs, des établissements scientifiques, des services (deux bibliothèques, hammams, caravansérails, ateliers de tissage, fabrique de papier, teinturerie, hôtel des monnaies, jardins, fontaine). On ne sait si le plan avait été rigoureusement pré-établi.

L'acte de dotation (waqf) du complexe est conservé. Ecrit par Rashid al-Din lui-même , il est constitué d’une introduction, de trois grands chapitres (institutions bénéficiaires, propriétés de donation, détails pour la direction des institutions), d'appendices et de clauses additionnelles (donations supplémentaires et nouvelle stipulations). La dotation semble exceptionnelle : 50 000 dinars. La moitié des revenus retournait aux surveillants du Rab (Rashid al-Din puis ses fils), l’autre allait aux 220 esclaves et 100 employés, et à la réfection des bâtiments. La copie de manuscrits du Coran, des hadiths et des œuvres de Rashid al-Din est également prévue.

Le point focal du Rab est la tombe, incluse dans la mosquée, où le Coran était récité toutes les heures, et des lectures spéciales faites pour les fêtes. On y conservait nombre de manuscrits et d'objets précieux.

Sultaniya

Sultaniya fut fondée à la fin du XIIe siècle par Arghoun. Elle servit de capitale quelque temps au XIVe, sous Oldjaïtou (1304-1316), qui l'embellit notablement. Le quartier construit par Rashid al-Din fut fini en 1313 ; il comportait mille maisons, une fondation pieuse avec madrasa, hôpital, et khanqah, et une grande porte d’entrée en forme d’iwan surmontée d’un minaret. Malheureusement, il n'est plus connu que par des récits de voyageurs.

Autres fondations

Rashid fonda, dota, visita et restaura de nombreux tombeaux de sufis, comme celui de Bayazid à Bastam, qu'il fit entièrement restaurer. Il fit de même pour la grande mosquée d'Oldjaïtou, qu'il dota d’une fondation pieuse signalée dans un addendum à l’acte de waqf du Rab-i Rashidi, daté de 1314.

Patronage de manuscrits

Au tournant du XIVe, la taille, la fonction et le patronage du livre illustré en Iran changent. Celui-ci émerge comme un médium essentiel de l’expression, et constitue sans doute le plus important sujet de mécénat. La taille augmente, de nouveaux types de textes (incluant épopées et histoires) se trouvent régulièrement illustrés. Le livre illustré véhicule l’idéologie officielle.

L'acte de dotation du Rab-i Rashidi prévoit :

  • la copie annuelle de 30 manuscrits du Coran et d’une collection de Hadith (Jami ‘al-usul fi ahadith al-rasûl). Les règles de fabrication des manuscrits sont précisément spécifiées : papier de Baghdad, de grande taille, calligraphie pure, confrontation des textes avec les originaux, cuir doré pour la reliure, boîtes pour les manuscrits.
  • la copie de 6 œuvres de Rashid al-Din en arabe et en persan (la taille,le papier, etc. sont également spécifiés.) Ces œuvres doivent de plus être lues dans toutes les institutions charitables de Ghazan à Baghdad et Tabriz.

On peut donc dire qu'il s'agit de la première concrétisation légale d’un kitabkhana, un atelier de peintres, concept qui se développera durant les siècles suivants dans tout le monde islamique.

Hamadan, la ville natale de Rashid, est également un grand lieu de production de Corans et ce, depuis la période Saljukide. Cette tradition se perpétue et se développe sous le parrainage des Il-khanides, principalement grâce à Rashid al-Din. Beaucoup de Corans pour Uljaytu et sa fondation pieuse y sont notamment produits.

On conserve quelques manuscrits fait au Rab-i Rashidi ou sous le patronage de Rashid al-Din:

  • Un Majmu’a al-Rashidiyya, actuellement à la BNF (cote arabe 2324), daté de 1310-1311. Il s'agit d'un regroupement des œuvres théologiques de Rashid al-Din. De grand format (50 x 37 cm), il comporte un colophon qui donne le nom de l’artiste Muhammad ibn Mahmud ibn Muhammad al-Amin, connu sous le surnom « le rapide calligraphe de Baghdad ». On pense qu'il a enluminé la page droite du double frontispice, la page gauche ayant été faite par une autre main.
  • plusieurs Corans, tous écrits en 5 lignes sur format large :
    • Un Coran de la bibliothèque de Topkapi, (EH 248) fait en avril 1315, copié par abd ‘Allah ibn Abi’l Qasim ibn Abdallah al turi al-Rudravari, un calligraphe venant du sud du district de Hamadan. De grande taille (52 x 37 cm), il rappelle le manuscrit précédent.
    • Un Coran en 30 volumes, fait à Hamadan pour Uljaytu, de la National Library du Caire (MS 72). Copié et enluminé en septembre 1313, il est l'œuvre d'Abdallah ibn Muhammad ibn Mahmud al-Hamadani, un scribe qui travaillait à Hamadan dans le dar al-khairat al-rashidiyya , la fondation pieuse de Rashid à Hamadan.
    • Un Coran de la bibliothèque de Tokapi, (MS K3), plus petit (32 x 22 cm), fait par Fakhr al-Hamadani.
    • Un Coran en 30 volumes, fait pour Uljaytu à Mossul en 1306-1311. Le colophon mentionne le patronage de Rashid al-Din et de Sa’d al-Din Savaji, un fait assez exceptionnel, étant donné que les associations de mécènes sont rares. On pense qu'il existe peut-être un fossé chronologique entre les volumes : une première partie aurait été réalisée en 1306-1307 et la seconde en 1310-1311.

Dans l’introduction de l'acte de waqf du Rab-i Rashidi, Rashid al-Din donne ses motivations pour un tel acte de mécénat, en prenant appui sur des motifs religieux (Jugement dernier…). Cependant, la période à laquelle il commande tant de travaux est également celle où il commence à rédiger ses traités philosophiques et théologiques. Pour B. Hoffmann, ces écrits, comme ces fondations pieuses et ces actes de mécénat, sont plus réalisés pour justifier l'immense fortune de Rashid al-Din qui marque ainsi son territoire et sa supériorité face à ses rivaux, qui critiquent son origine juive, plutôt que pour des motifs strictement religieux.

L'écrivain

Rashid al-Din écrivit de nombreux ouvrages sur des sujets très divers. Nous sont parvenus des écrits sur la théologie islamique, une correspondance (sans doute apocryphe) et surtout, un immense ouvrage historique, le Jami al-tawarikh.

Le Jami al-tawarikh constitue la source la plus importante en ce qui concerne la période il-khanide et l’empire mongol dans son ensemble. Cet ouvrage fut commandé par Ghazan, qui était désireux que les Mongols, sédentarisés et persianisés, gardent un souvenir de leurs origines. Initialement destiné à exposer uniquement l’histoire des Mongols et de leurs prédécesseurs dans la steppe, le livre se transforma bientôt en une histoire du monde connu, à la requête d'Uljaytu. Il s'agit donc d'une œuvre historique au point de vue encyclopédique, qui, même si posant quelques problèmes d'objectivité en raison de l'identité et de la place qu'occupe l'auteur au sein de l'Etat, est éminemment remarquable par son originalité.

Pour en savoir plus

Bibliographie

  • Rashid al-Din Tabib, Il-khans, Tabriz, Sultaniyya, in Encyclopédie de l'Islam, Brill, 1960 (2e édition)
  • B. Hoffmann, The Gates of Piety and Charity : Rašid al-Dîn Fadl Allah as founder of pious andowments, in L’Iran face à la domination mongole, dir. D. Aigle, institut français de recherche en Iran, 1997 (Bibliothèque Iranienne 45)
  • S. Blair, Patterns of patronnage and production in Il-khanid Iran, the case of Rashid al-Din, in Oxford Studies in Islamic Art, 1994, 12
  • S. Blair et J. Bloom, The Art and Architecture of Islam 1250 – 1800, Yale University Press, 1994
  • E. Quatremère, Histoire des mongols de la Perse par Rashid Eddin, Paris 1836 (traduction en français d’une partie du Jami al-tawarikh)
  • B. Spuler, Les Mongols dans l’Histoire, Payot, 1981
  • AZV Togan, The composition of the history of the mongols by Rashid al-din, Central Asiatic Journal, 1962, pp 60 – 72

Voir aussi

Notes et références

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