Philolaos de Crotone

Philolaos de Crotone

Philolaos (en grec Φιλόλαος / Philólaos) (~485~385) est un philosophe, astronome et mathématicien grec du Ve siècle av. J.‑C. qui eut pour maître Pythagore et pour élèves entre autres Démocrite, Archytas de Tarente, Xénophile de Chalcis en Thrace, Phanton de Phlionte, Echécrate, Dioclès et Polymnastos de Phlionte.

Sommaire

Biographie

Philolaos naquit probablement en Italie, à Crotone[1]. Pupille et transcripteur de Pythagore ; après la mort de son maître (vers 497-75 av. J.-C.), de fortes dissensions parcouraient l'Italie du sud. Il vivait à Crotone durant la persécution des pythagoriciens. ; il aurait d'ailleurs été le seul survivant de l'incendie de l'École de Crotone avec Lysis de Tarente et Archippe de Tarente (440 av. J.-C.). Philolaos, contraint de fuir, se réfugia d'abord, avec Lysis, en Lucanie, à Thèbes (en Lucanie)[2]. Vers 400 av. J.-C. il écrivit son livre : pour la première fois, le pythagorisme n'était plus oral. Lysis de Tarente s'étant réfugié à Thèbes et y étant mort, il alla honorer sa tombe, et durant ce voyage s'entretint en 399 av. J.-C. avec Cébès de Thèbes qui conta sa rencontre à Platon [3]. Platon s'empressa alors d'aller suivre son enseignement et celui d'Eurytos en Italie, en -389/-388[4]; Eurytos eut pour disciples Echécrate, Cébès et Simmias de Thèbes, les héros du Phédon de Platon. Une légende dit que, démuni, Philolaos se résolut à vendre son livre[5] à Platon (peut-être au cours du 3e voyage en Sicile de ce dernier, en 360 av. J.-C.) ou que ce livre fut vendu à Platon par un ancien élève ou par ses parents après sa mort. Il mourut vers 390 av. J.-C. à Tarente.

Philosophie

Ce sont des considérations métaphysiques et non scientifiques qui ont poussé Philolaos à émettre ses théories. L'origine de ses écrits étant encore discutée. L'âme est une harmonie des parties du corps. Les nombres sont la clef de la connaissance :

"Tout être connaissable a un nombre : sans celui-ci, on ne saurait rien concevoir ni rien connaître... Le nombre a deux formes propres, l'impair et le pair, plus une troisième produite par le mélange des deux" (fragments 4, 5, trad. Dumont).

L'Un procède à la fois du pair et de l'impair puisque, ajouté à un nombre impair, il donne un nombre pair et vice-versa. Il est devenu le principe par excellence, l'Achevé. Le nombre pair, l'Inachevé, formait le monde organisé et comportant du superflu. Cette dissymétrie se justifie théoriquement par le concept de Philolaos sur l'harmonie, suivant ainsi les idées de Parménide. « L'harmonie provient toujours des contraires ; elle est en effet l'unité d'un mélange de plusieurs et la pensée unique de pensant séparés. » Ainsi, Philolaos propose deux grands principes sous la forme d'une opposition entre les "choses illimitées" (apeira), comme la mer, le feu, l'air, et les "choses limitées" (perainonta), comme l'égalité d'une surface, le repos, le mot illimité étant péjoratif pour un Grec.

"Ce sont les illimités et les limitants qui ont, en s'harmonisant, constitué au sein du monde la nature, ainsi que la totalité du monde et tout ce qu'il contient. Il est nécessaire que tous les êtres soient ou bien limitants ou bien illimités, ou bien à la fois limitants et illimités" (fragments 1 et 2, trad. Dumont).

Platon s'en souviendra dans le Philèbe (16c).

Cosmologie

Philolaos fut le premier penseur à affirmer que la Terre n'était pas au centre de l'Univers, mais qu'elle tournait en un jour autour d'un « Feu central », demeure de Zeus et mère des dieux, différent du Soleil et placé au centre de l'Univers. Il appela ce centre « Estia », d'après la déesse grecque du feu et du foyer Hestia. Ce concept fut l'un des premiers à expliquer avec une certaine logique le mouvement apparent des étoiles autour de la Terre. Le Soleil, la Lune et les cinq planètes visibles tournaient également autour de ce Feu central. Comme la Terre tournait sur elle-même également en vingt-quatre heures[réf. nécessaire], le Feu central lui était donc toujours invisible. Une autre planète, l'Anti-Terre, tournait aussi autour de ce centre, mais comme elle en était plus rapprochée, elle demeurait également invisible au monde méditerranéen. Ces deux astres n'avaient en fait pour seule raison d'être que de porter le nombre d'astres à dix, un nombre important pour les Pythagoriciens.

Selon Copernic, Philolaos connaissait déjà le mouvement de la Terre en cercle, pas forcément autour du Soleil (le Feu central n'est pas le Soleil).

« D'autres pensent que la Terre se meut. Ainsi, Philolaos le Pythagoricien dit que la Terre se meut autour du Feu en un cercle oblique, de même que le Soleil et la Lune. Héraclide du Pont et Ecphantus le Pythagoricien ne donnent pas, il est vrai, à la Terre un mouvement de translation... Partant de là, j'ai commencé, moi aussi, à penser à la mobilité de la Terre. »

— Copernic, Lettre au pape Paul III, préface à « Des révolutions des orbes célestes », 1543

Philolaos évalua le mois lunaire à 29 jours et demi, l'année lunaire à 354 jours et l'année solaire à 365 jours et demi.

Œuvre

Philolaos a écrit beaucoup, et toutes ses pensées il les a rassemblées dans un seul livre De la nature (Peri physeôs). Ce livre dont il ne reste que quelques fragments a connu un très grand succès dans l'Antiquité.

Il ne nous en reste que quelques phrases éparses prises ici et là : les premiers mots du livre nous sont rapportés par Démétrios de Phalère dans ses Homonymes (lui-même cité par Diogène Laërce) : "Ce sont les illimités et les limitant qui ont constitué au sein du monde la nature, ainsi que la totalité du monde et tout ce qu'il contient". Aristote a beaucoup été inspiré aussi par Philolaos (au sujet de l'astronomie notamment) et cite ces mots "Il est certaines pensées plus fortes que nous" (Ethique à Eudème 2.8.1225a30) ; un auteur tardif, Stobée (Choix de textes 1.15.7), cite également ceci, tiré du chapitre intitulé Les Bacchantes : "Le monde est un, il a commencé à naître à partir du centre et vers le bas. Car, ce qui est situé au-dessus par rapport au centre est inverse de ce qui est situé au-dessous ; car, le centre est comme le plus au-dessus pour ce qui est tout en bas, et il en va de même pour le reste ; car, par rapport au centre les directions sont identiques à ceci près qu'elles sont inversées" ; les citations de l'Antiquité tardive sont plus soumises aux doutes que les autres, Jean de Lydie (Des mois 2.12), "il existe en effet un chef, principe de toutes choses, Dieu, un, éternel, en repos, non mû, semblable à lui-même" et Philon (De la création §100) ajoute "et différent de tous les autres" ; Philolaos consacré encore plusieurs chapitres à De l'âme et Des rythmes et des mètres.

Un livre important et novateur : non seulement le premier à s'intituler De la nature (Peri phuseos), mais aussi le premier à traiter des enseignements de Pythagore. Un livre qui inspira beaucoup l'école platonicienne. Un élève, ou les parents de Philolaos, l'aurait vendu à Platon. Ce dernier s'en serait inspiré pour écrire son Timée (récit de l'Atlantide) ; hypothèse populaire dans l'Antiquité, Hermippe, cité par Diogène Laërce, la reprend tout comme Timon dans ses Silles repris par Aulu-Gelle (Nuits attiques 3.17.4). Son œuvre marqua en tout cas l'école platonicienne puisque Speusippe, le successeur de Platon à l’Académie en offrit un résumé (dans Des nombres pythagoriciens[6]). L’œuvre exposait des raisonnements scientifiques et logiques, c'est selon toute vraisemblance pourquoi il ne nous en reste rien ou si peu : suivant une pratique systématique les copistes chrétiens ne transmirent pas une œuvre qui exposait des considérations métaphysiques différentes ou identiques, mais en tout cas d'une spiritualité égale, à celles du christianisme parce qu'elles avaient été formulées par les "idolâtres" auxquels ils souhaitaient se substituer (il ne nous reste _ sauf exception _ de la philosophie grecque que des descriptions d'adversaires, des résumés pour les profanes ou des textes découverts très récemment par les archéologues : les textes supérieurs ont été exclus de toute survie) .

Mathématiques

Philolaos plongea profondément dans la théorie des nombres de Pythagore, s’intéressant particulièrement aux propriétés inhérentes au nombre dix, la somme des quatre premiers nombres et le quatrième nombre triangulaire, le tetractys, qu’il qualifiait de grand, tout-puissant et qui produit tout. On prenait le grand serment pythagoricien sur le tetractys sacré. La découverte des solides réguliers est attribuée à Pythagore et on dit qu’Empédocle fut le premier à prétendre qu’il existait quatre éléments. Philolaos, reliant ces idées soutenait que la nature élémentaire des corps dépendait sur leur forme. Il associa le tétraèdre au feu, l’octaèdre à l’air, l’icosaèdre à l’eau et le cube à la terre. Le dodécaèdre régulier fut attribué à un cinquième élément, l'éther, ou comme d’autres pensent, l’univers. Cette théorie, quoique superficielle, démontrait une connaissance considérable de la géométrie et encouragea fortement l’étude des sciences.

Authentique ou apocryphe ?

Carl Schaarschmidt, le premier, en 1864, mit en doute l'authenticité des fragments[7]. Certaines notions semblent émaner du platonisme, pourtant postérieur. Une hypothèse de Erich Frank (Plato und die sogenannten Pythagoreer, 1923) et de Ernst Howald (in Essays on the History of Medicine Presented to Karl Sudhoff, 1924, p. 63-72) voudrait que la théorie des nombres chez les pythagoriciens soit la création de Speusippe, qui aurait lui-même forgé le livre attribué à Philolaos. Certains historiens n'excluent pas l'hypothèse que les textes de Philolaos puissent être des faux, forgés en milieu néoplatonicien par des lecteurs du Philèbe de Platon, où on lit : "Les Anciens, qui valaient mieux que nous et qui étaient plus proches des dieux, nous transmirent cette tradition que tout ce qu'on peut dire exister est fait d'un et de multiple [thème caractéristique de Platon] et comporte dans sa nature de la limite et de l'illimité [thème propre à Philolaos]" (16 c).

Bibliographie

Fragments

  • édition des fragments en grec : Hermann Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker (1903), 6e éd. par Walter Kranz, 1951.
  • traduction des fragments par Anthelme-Édouard Chaignet, Pythagore et la philosophie pythagoricienne, contenant des fragments de Philolaüs et d'Archytas (1873), Adamant Media Corporation, 2002, 2 t., t. I p. 212-254. [1]
  • frg. grecs et trad. it. : Maria Timpanaro-Cardini, Pitagorici. Testimonianze e frammenti, Florence, 1964, t. II.
  • édition : C. A. Huffman, Philolaus of Croton Pythagorean and Presocratic: A Commentary on the Fragments and Testimonia With Interpretive Essays, Cambridge, Cambridge University Press, 1993.
  • traduction : Jean-Paul Dumont, Les Présocratiques, Gallimard, coll. "Pléiade"", 1988.

Sources

  • Diogène Laërce, Vie de Philolaos, in Vies et doctrines des philosophes illustres (vers 200). [2]
  • voir Jean-Paul Dumont, Les présocratiques, Gallimard, coll. "La Pléiade", 1988.
  • Legault Jean-Luc, L'Astronomie pour comprendre l'univers, 2008.

Études

  • Walter Burkert, Lore and Science in Ancient Pythagoreanism (1962), trad. de l'all., Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1972.
  • Anthelme-Édouard Chaignet, Pythagore et la philosophie pythagoricienne (1873), Adamant Media Corporation, 2002, 2 t.
  • Jean-Paul Dumont, Les écoles présocratiques, Paris, 1988, p. 248-273.
  • K. von Fritz, Philolaos, in Pauly-Wissowa, Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft, 1893-1972.
  • Ivan Gobry, Pythagore ou la naissance de la philosophie, Seghers, Paris, 1973.
  • Carl Huffman, Philolaus of Croton, Cambridge University Press, 1993. [3]
  • Jean-François Mattei, Pythagore et les Pythagoriciens, PUF, coll. "Que sais-je ?", n° 2732, 1993.
  • Stanford Encyclopedia of Philosophy [4]

Notes

  1. selon Diogène Laërce vers 485-474 av. J.-C. ou Tarente ou Héraclée
  2. Plutarque Du génie de Socrate § 13.
  3. Platon, Phédon, 61
  4. Diogène Laërce Platon.
  5. Son unique ouvrage, qui comprenaient entre autres ses traités sur l'astronomie qui furent probablement connus d'Aristote
  6. résumé par le Pseudo-Jamblique
  7. Carl Schaarschmidt, Die angebliche Schriftstellerei des Philolaos..., Bonn, 1864.

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